Ruptures de la chaîne d'approvisionnement, pénurie sur le marché du travail, inflation: pareille convergence de circonstances défavorables aurait semblé fort improbable lors des dernières HID, en février 2019. Telles sont pourtant, écrivait Hunkeler à l'approche des HID, les principales tendances du marché - outre la baisse persistante des volumes d'imprimés.
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Au croisement de l'impression, de l'innovation et des nouvelles tendances
Trente ans après l'organisation de la première journée porte ouverte d'Hunkeler en 1993, les Hunkeler Innovationdays (en abrégé HID), qui s'étendent désormais sur quatre jours, sont devenus un concept international dans le secteur de l'impression en grand volume. Après deux reports pour cause de coronavirus, exposants et visiteurs ont, comme dans le bon vieux temps, pu de nouveau se retrouver dans la ville suisse de Lucerne pour faire le point.

Ruptures de la chaîne d'approvisionnement, pénurie sur le marché du travail, inflation: pareille convergence de circonstances défavorables aurait semblé fort improbable lors des dernières HID, en février 2019. Telles sont pourtant, écrivait Hunkeler à l'approche des HID, les principales tendances du marché - outre la baisse persistante des volumes d'imprimés. Des évolutions qui, en tout état de cause, posent de sérieux défis à moult entreprises et secteurs. L'expression "tempête parfaite" est ainsi couramment entendue dans le secteur graphique. Mais des opportunités existent aussi: Hunkeler a su trouver les moyens ces dernières années d'augmenter aussi bien son chiffre d'affaires que son bénéfice et sa part de marché. En 2019, Michael Hunkeler, CEO à l'époque, se disait malgré tout quelque peu déçu de la croissance du marché jet d'encre, restée inférieure aux attentes. En 2023, en revanche, c'est la satisfaction qui règne: le jet d'encre réserve de belles perspectives à l'entreprise, même à taux de croissance inchangés. Le directeur Stefan Hunkeler explique en quoi les tendances et circonstances actuelles sont précisément source d'opportunité: "Le besoin d'automatisation des processus de production augmente. Les systèmes d'impression numérique y répondent. Ils permettent en outre de satisfaire la demande croissante de production de versions actualisées, exactement dans les quantités requises et au moment voulu. Les entreprises ne souhaitent plus des stocks coûteux d'imprimés, qui pourront en outre s'avérer inutiles." Et c'est ainsi qu'Hunkeler, avec la centaine d'exposants aux HID, se trouve exactement au croisement lucratif de l'impression, de l'innovation et des tendances évolutives du marché. La formule du succès des HID est assez simple. Dans les deux halls d'exposition, pas de stands imposants ni de scènes tape-à-l'oeil aux effets de lumière flashy. Le visiteur a droit au lieu de cela à des lignes de production d'imprimés complètes, montrant tout un éventail de possibilités d'applications: des livres aux posters en passant par les manuels, les mailings et les papiers d'emballage. À intervalle régulier, les capots des machines sont relevés et la technologie interne est expliquée. Partout, des échantillons sont distribués. Et les gens apprécient: ce n'est pas pour rien qu'un nombre record de 6 700 visiteurs se sont rendus à Lucerne en provenance de cent pays du monde entier. Pour Hunkeler comme pour les autres exposants, les HID sont l'occasion rêvée de dévoiler leurs toutes nouvelles machines. Rien de plus beau en effet qu'un hall de foire où la quasi-totalité des constructeurs et fournisseurs actifs sur le marché de l'imprimé se rassemble pour montrer quelque 50 lignes de production en pleine action. Avec pratiquement partout des équipements Hunkeler: devant, derrière ou à côté des systèmes d'impression des ténors du marché, mais en faisant place malgré tout à d'autres spécialistes du postpresse, comme Müller Martini, Horizon, Kern et Meccanotecnica. Un tel cadre permet immédiatement aux visiteurs de se faire une idée globale: quels sont les marchés émergents, quelles innovations sont réellement prêtes à être commercialisées, dans quel sens les marchés évoluent-ils? Un marché important pour Hunkeler est celui du livre imprimé à la demande (book-on-demand). D'où, par exemple, les débuts en salon de la "Starbook", ligne de brochage disponible en deux versions: avec alimentation feuille à feuille ou rotative. Dans la même optique, un nouveau module BSM (Book Sorting Module) a été mis au point pour prendre en charge le tri des livres souvent produits à l'exemplaire directement après la ligne de brochage. Hunkeler prévoit une croissance soutenue sur le marché du livre, à cause de la migration de beaucoup d'imprimés de l'offset vers le numérique. Un autre marché prometteur est celui de l'imprimé commercial, dit Hunkeler: "Nous y observons une croissance relativement forte. Ce marché est tellement divers, avec une multitude de produits finis différents. Il a donc aussi besoin de nombreuses possibilités de finition distinctes." Et pas uniquement des équipements rotatifs, mais aussi feuille à feuille. Ce segment est nouveau pour Hunkeler, qui en a malgré tout une certaine expérience passée (lire l'encadré). Dès 2019, les Suisses ont présenté la première version de la DocuTrim, solution de coupe et de perforation (dynamique) de feuilles plano. Ils y ajoutent cette année une DocuTrim de format B2+, pour les feuilles jusqu'à 53 x 75 cm - autrement dit, une machine compatible avec les presses numériques feuilles de ce format, actuelles (ex.: HP Indigo et Fujifilm) et à venir (ex.: Ricoh). Commençons par l'exception dans un parc lucernois essentiellement centré sur le jet d'encre. Xeikon a montré avec la Sirius SX30000 qu'elle croyait toujours au toner, confirmant ainsi une promesse faite quatre ans plus tôt à Lucerne, quand elle annonçait travailler à de nouvelles machines utilisant ce procédé. La génération "Sirius" aurait d'ailleurs dû faire ses débuts en salon à la Drupa 2020, mais les HID en auront donc eu la primeur. Avec cette presse (détail piquant: la seule équipée d'un dérouleur de conception propre plutôt que d'un exemplaire Hunkeler), Xeikon entend viser l'impression polychrome haut de gamme. En particulier dans le segment des livres, où l'entreprise fait actuellement de bonnes affaires, s'est confié Dimitri Van Gaever, Market Segment Director de Xeikon. Mais elle voit aussi des possibilités dans le papier peint - une application qui détonne aux HID, mais a parfaitement sa place à la FESPA, où l'on pourra la voir en démonstration. SCREEN, qui fait partie des invités réguliers aux HID, a montré la Truepress Jet520HD+, équipée au choix d'un enrouleur (productions de rouleau à rouleau) ou d'une installation "Roll to Stack" pour une sortie sur empileur. SCREEN a en outre pris cette année une nouvelle direction avec la production d'emballages en papier sur la Truepress PAC520. En 2019, Xerox était encore présente avec au moins trois systèmes de production jet d'encre, mais cette gamme se limite désormais à la Baltoro, presse feuille de format B3 basée sur la machine à toner iGen ("pourquoi réinventer ce qui est déjà bon?", dit Peter Veldhuysen, de Xerox) et dotée de têtes jet d'encre maison. Pour Veldhuysen, les développements dans le domaine du jet d'encre n'en sont encore qu'au tout début chez Xerox. Attendons-nous donc à du nouveau dans un avenir proche. Canon a déclaré avoir réalisé de "grands progrès" en quatre ans. Et d'en prendre pour preuve la nouvelle ProStream 3000, présentée en première mondiale à Lucerne: cette dernière génération de la plate-forme ProStream offre une vitesse plus élevée (jusqu'à 133 m/min) sur un éventail de supports plus large (jusqu'à 300 g/m2). Plus de 160 tours ProStream auraient été installées sur les deux dernières années, selon Canon. Plus de 275 exemplaires de la presse jet d'encre feuille à feuille de format B3 VarioPrint iX auraient en outre été vendus - cette machine équipée d'un nouveau logiciel de productivité était également présente aux HID. De même chez Ricoh, on pouvait voir la génération suivante de la rotative jet d'encre VC70000 lancée aux HID 2019. La nouvelle version "e" (comme "enhanced") de cette machine y était montrée en une configuration polychrome recto pouvant compter sur son logiciel et le recours à l'intelligence artificielle pour offrir des gains d'efficience et de productivité. La V20100 était aussi à l'oeuvre sur le stand, pour la production de manuels en noir et blanc. La très attendue presse feuille à jet d'encre Z75 de Ricoh n'était toujours présente qu'en mode virtuel. Une toute nouvelle usine a été construite pour abriter la production de cette machine, dont l'introduction effective aura probablement lieu en automne. Impossible de passer à côté de la grande vedette du salon: dès l'entrée au Hall 2, HP accaparait toute l'attention avec la première européenne de la PageWide Advantage 2200. HP a travaillé d'arrache-pied ces dernières années à cette plate-forme totalement nouvelle, dans laquelle la bande de papier passe deux fois (grâce à des barres de retournement) dans le même groupe d'impression pour le recto verso. Du fait de cette construction ingénieuse, cette machine peut être dotée (également comme mise à niveau post-installation) d'un, deux ou trois sécheurs, selon le segment de marché visé - et donc les types de papiers et les taux d'encrage. Le placement de plusieurs modules de séchage permet de maintenir la vitesse de production (maximum de 150 m/min) et donc la productivité et la capacité. Le retour de Kodak, totalement absente en 2019, n'est pas non plus passé inaperçu. Les têtes jet d'encre Ultrastream annoncées à Lucerne en 2017 ont entre-temps porté leurs fruits dans la rotative Prosper Ultra - visible pour la première fois en Europe. "Une vraie bête", a déclaré le CEO Jim Continenza, "qui nous permet de rivaliser avec l'offset". Tout est une question de calcul, selon lui: "L'important n'est pas le prix par page, mais la rapidité d'exécution." Cette vitesse maxi de 150 m/min est rendue possible par le séchage UV et les nouvelles encres: "Nous avons mis des années à obtenir l'encre parfaite. Rendez-vous compte: la machine génère 40 milliards de gouttelettes d'encre par seconde - ce n'est pas simple." Kodak continue d'ailleurs de croire au marché de l'offset. Interrogé à ce sujet, Continenza a affirmé qu'il serait le "dernier survivant" dans les plaques offset: "Nous continuons d'investir dans le domaine." Marc Stephenson, Product Manager de Fujifilm, n'a pas manqué de le relever: durabilité, climat et environnement n'étaient pas particulièrement les grands thèmes des Hunkeler Innovationdays. "Alors qu'ils étaient au coeur d'un salon comme Interpack. Le développement durable est omniprésent dans l'actualité de l'industrie de l'emballage." À Lucerne, seuls un panneau au fond d'un stand et une diapo d'une présentation tournant en boucle sur un écran évoquaient le sujet. Sur son propre stand, Fujifilm - absente en 2019 et venue sans machines aux HID - n'en pipait mot. Et ce alors que le constructeur mettait largement l'accent sur la recyclabilité des impressions de la Jetpress déjà avant son lancement, selon Stephenson. Le grand défi de la réutilisation du papier tient à la mesure dans laquelle le produit imprimé peut être séparé de son encre. La désencrabilité est cruciale dans le processus de recyclage. Le vieux papier ne se prête à la fabrication de papier recyclé que s'il a été suffisamment débarrassé de l'encre ayant servi à l'imprimer. Or le procédé jet d'encre complique ce processus. La principale instance chargée de déterminer si un imprimé est suffisamment désencrable est l'institut allemand Ingede, auprès duquel Fujifilm fait tester ses produits. Stephenson: "En règle générale, un vernis améliore le désencrage, mais nous réussissons souvent le test même sans vernis. Nous avons aussi des machines à toner qui remontent au temps de notre collaboration avec Fuji Xerox. Ces matériaux se désencrent beaucoup mieux que le jet d'encre." La quasi-totalité des fabricants de machines jet d'encre présents au salon travaille avec Ingede pour faire accréditer leurs produits. Canon fait tester son matériel par l'Université technique de Darmstadt, partenaire d'Ingede. Selon les tests d'Ingede, le toner sec et l'offset se prêtent en général mieux au recyclage que le toner liquide et le jet d'encre. Stephenson: "D'un point de vue historique, les tests et les méthodes de désencrage ont d'abord été mis au point pour l'offset. Dans les premières années où la réutilisation du papier a commencé à être d'actualité, il n'existait pratiquement pas encore d'imprimés numériques." Un petit tour auprès des exposants à Lucerne a confirmé que pratiquement tout le monde travaille activement à de meilleurs résultats, mais certains assurent que la désencrabilité n'est pas un problème. Aucun ne peut toutefois promettre que tous les produits sortis d'une certaine machine se prêtent au recyclage. Les résultats dépendent de l'encre utilisée, du support et du taux d'encrage. Ingede doit, en principe, réaliser des tests application par application, et rédiger son rapport sur cette base. Si le jet d'encre à grand volume est en croissance, sa part du marché total reste encore loin des 10%. Il n'empêche: même une petite quantité d'imprimés jet d'encre suffit à perturber le processus de recyclage. Axel Fisher, porte-parole d'Ingede et également présent à Lucerne, évoquait en son temps "la chaussette rouge dans la lessive de blancs". Sa métaphore est souvent citée pour clarifier la problématique du jet d'encre. Stephenson: "Tout le monde connaît l'exemple de cette papeterie utilisant un fort pourcentage de vieux papiers Indigo, qui a dû arrêter sa production le temps de tout nettoyer. Différents fabricants d'imprimantes, dont Indigo, ont planché sur une solution, mais Ingede ne l'a pas jugée praticable." Outre l'exemple d'Indigo, la nanotechnologie de Landa a aussi mauvaise réputation auprès des industriels du recyclage. Landa a envoyé à Ingede des exemplaires-tests non conformes aux impressions sorties réellement de ses machines. Les exemplaires-tests ont bien été validés, mais les imprimés présentés lors de la Drupa 2016 n'étaient pas recyclables. Ce qui n'avait pas empêché Benny Landa d'arborer le logo d'Ingede pendant cette même Drupa - au grand dam d'Axel Fisher. Compte tenu de l'incertitude ambiante quant à la réutilisabilité des imprimés jet d'encre, il est difficile pour les grands fabricants d'imprimantes de faire leur pub sur l'aspect durable de leurs produits. Et ce alors que l'impression numérique et le jet d'encre en particulier sont des technologies propices par excellence à la réduction de la montagne de déchets. L'imprimé peut en effet être produit à la demande en très petites quantités, et même à l'exemplaire. De quoi parfaitement accorder offre et demande. Ce qui rend aussi le jet d'encre suprêmement compatible avec une tendance comme l'Industrie 4.0. L'argument massue de l'industrie graphique en matière de développement durable a toujours été le fort pourcentage de réutilisation du papier et du carton. La réduction des volumes de déchets est moins souvent évoquée. L'industrie s'est ainsi tiré une balle dans le pied, car la technique qui présente actuellement les meilleures perspectives d'avenir pose des problèmes de réutilisation. En même temps, Ingede ne laisse aucun doute sur le fait que l'industrie papetière ne va pas adapter ses procédés. Les constructeurs d'imprimantes jet d'encre et les fabricants d'encres n'ont donc guère le choix: il faudra mettre au point une autre solution. Le thème de la durabilité sera bien mis ostensiblement en avant dans un an, lors de la drupa 2024: "Durabilité dans l'industrie de l'imprimé et de l'emballage", "Économie circulaire", "Utilisation efficace des matériaux et de l'énergie" et "Recyclage" figurent en tête de la liste des "focus" annoncés. Nul doute que nous les retrouverons au programme des Hunkeler Innovationdays de 2025.
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