Pouvez-vous nous expliquer en deux mots ce que vous emballez?
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Pouvez-vous nous expliquer en deux mots ce que vous emballez? Guido M. Martens: "À Hamont-Achel, nous emballons essentiellement des 'préparations injectables', c'est-à-dire des seringues préremplies (PFS), des auto-injecteurs destinés notamment aux diabétiques et des fioles en verre préremplies demandant éventuellement un stockage réfrigéré. Nous nous concentrons donc sur la phase de post-remplissage: à savoir l'étiquetage, l'assemblage, la mise sous emballage secondaire et l'ajout de protections anticontrefaçon. Il s'agit presque toujours de produits médicaux impliquant plusieurs composants, qui nécessitent un packaging complexe. La destination finale est en général le marché des consommateurs. Les produits que nous conditionnons ne sont la plupart du temps pas en vente libre en pharmacie, mais sont spécifiquement prescrits par des médecins spécialistes (pas les généralistes). Eu égard à notre expertise, on nous demande aussi régulièrement d'emballer des produits en phase-test: des emballages cliniques, donc." Qui sont vos clients, dès lors? "Sharp est ce que l'on appelle un 'contract service provider': des entreprises pharmaceutiques grandes ou petites peuvent sous-traiter leurs projets d'emballage complexes à un spécialiste tel que Sharp, qui peut faire valoir une vaste expertise dans le domaine. Nos clients se chargent donc de la fabrication du 'drug product', qu'ils expédient en vrac à Sharp pour la dernière phase du traitement. À savoir: l'emballage avant la mise sur le marché. Nos clients sont donc les titulaires de l'AMM, c'est-à-dire qu'ils détiennent le droit de commercialiser les produits conditionnés. Il peut s'agir concrètement aussi bien de grands fabricants de produits pharmaceutiques que de petites sociétés pharmas virtuelles. Environ 60% des marchandises que nous emballons sont utilisées en Europe, mais nos clients sont pratiquement tous actifs à l'échelon mondial." Vous-mêmes pouvez être considérés comme une grande entreprise? "Nous faisons partie d'un réseau Sharp mondial d'emballeurs cGMP. Notre implantation d'Hamont-Achel comporte actuellement 17 000 m2 de superficie d'emballage, que des projets concrets visent à porter à un hectare à relativement court terme. Nous conditionnons environ 15 000 000 de préparations injectables par an sur 17 ou 18 lignes. Un volume que nous souhaitons augmenter de plus de 60%." Le nom Sharp n'évoque pourtant pas grand-chose auprès des gens... "À cause peut-être des nombreux changements de dénomination que nous avons connus. Quand nous avons commencé en 1959, nous nous appelions Hassia, puis nous sommes devenus Pentapack, Budelpack et Enestia Belgium. Nous continuons d'ailleurs d'opérer officiellement aujourd'hui sous ce dernier nom, même si nous nous présentons sous l'appellation commerciale 'Sharp' depuis 2013 - avec nos implantations soeurs des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des États-Unis." Vous restez malgré tout une entreprise belge? "Pour se faire un nom dans notre secteur, il faut peser un certain poids. Nos clients sont tous des multinationales, qui préfèrent travailler avec de grands noms plutôt qu'avec des PME locales. Ce qui explique que le site d'Hamont-Achel soit depuis de nombreuses années aux mains de grands acteurs internationaux. Jusqu'à la fin de l'année dernière, nous dépendions du groupe irlandais UDG Healthcare, et depuis le 1er janvier 2022 - avec notre société soeur Ashfield - nous appartenons au groupe de capital-investissement américain CD&R (Clayton, Dubilier & Rice). Sharp compte aujourd'hui huit implantations: une en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, et cinq aux États-Unis. Elles emploient ensemble plus de 2 000 personnes. Dont 280 chez nous, qui sommes donc de facto le plus gros employeur des sites européens." Les Trends Gazelles Awards récompensent des sociétés en croissance rapide, qui ont une influence positive sur le climat d'entreprise de leur région. Sharp a-t-elle ce profil? "Le marché du contract packing est très volatil. Certains produits pharmaceutiques perdurent des décennies sur le marché ; d'autres disparaissent au bout de quelques années. Le défi pour nous en fait est que nous devons configurer entièrement une nouvelle ligne d'emballage pour chaque nouveau produit. Du moins en allait-il ainsi autrefois. Nous avons en effet décidé de changer partiellement notre fusil d'épaule voici environ quatre ans. Nous cherchons proactivement la solution d'emballage la meilleure et la plus rentable tout en veillant à rester dans le cadre défini par le client. Autrement dit, nous lui demandons régulièrement s'il est disposé à adapter le concept de son emballage pour que nous puissions conditionner son produit sur nos lignes existantes - moyennant éventuellement quelques interventions mineures. Nous faisons aussi appel à notre réseau Sharp pour, par exemple, soutenir des entreprises pharmaceutiques américaines dans le lancement de leur produit en Europe à partir de notre site d'Hamont-Achel. Avec notre croissance, nous offrons à des ingénieurs, des opérateurs de production, des spécialistes de la qualité et d'autres fonctions d'appui, d'Hamont-Achel et des alentours, des possibilités à long terme d'évoluer et de grandir avec notre entreprise." Qu'est-ce qui fait que les clients sont désormais plus ouverts à l'adaptation d'un emballage? "Le raccourcissement considérable du 'time-to-market' est un facteur qui pousse beaucoup à passer le cap. En particulier avec la pénurie actuelle de puces électroniques et de pièces de machines. Aujourd'hui, il faut facilement plus de deux ans pour mettre en place une nouvelle ligne. D'un côté parce que tout est du sur-mesure, ce qui nécessite beaucoup d'essais et d'adaptations. De plus, tout - et je dis bien tout, jusqu'au moindre câble ou à la plus petite caméra - doit être approuvé par l'Agence fédérale des médicaments. Sur une ligne existante, on sait d'avance que le concept de base va fonctionner sans problème, ce qui réduit fortement la phase de rodage. Seules les parties modifiées doivent être homologuées. L'emballage des produits peut donc logiquement commencer beaucoup plus tôt. Un deuxième argument important est le prix de revient, même s'il prime rarement dans notre métier. Il n'empêche qu'adapter une ligne existante coûte nettement moins cher que d'en implémenter une nouvelle. Ce qui se répercute naturellement sur le prix facturé à nos clients. Cet avantage joue surtout pour les plus petits volumes. Enfin, l'empreinte écologique est nettement moindre dans le cas d'une modification de ligne. Un aspect qui prend de plus en plus d'importance." Et cette approche a débouché sur une forte croissance? "Il était rare auparavant que nous tournions à pleine capacité, car nous avions toujours bien l'une ou l'autre ligne en transformation. Inversement, nous pouvons limiter les temps d'arrêt, car une ligne modifiée connaît beaucoup moins de maladies de jeunesse. Ce qui nous a permis de développer une forte croissance en termes de volume. Nous avons par ailleurs aussi travaillé notre efficience sur d'autres plans. Le stockage et la planification ont ainsi été fortement améliorés, avec un impact positif sur le chiffre d'affaires. Nous misons aussi depuis quelques années sur la flexibilité, l'orientation client et les livraisons garanties. Nous menons aussi une politique d'investissements proactive, ce qui est unique pour nous. Dans l'approche traditionnelle, des lignes ne sont construites que pour répondre à une demande effective d'un client. Nous nous écartons désormais de ce principe en mettant actuellement la dernière main à deux lignes avec lesquelles nous allons nous-mêmes prospecter le marché. Il s'agit d'un investissement de cinq millions d'euros dans une technologie unique dédiée au cartonnage et au conditionnement des préparations injectables. Cette tactique semble payante, car nous avons déjà trouvé quatre clients avant même le démarrage. Mais, même sans cet investissement, notre production a augmenté de 73% sur les quatre dernières années. Ce qui s'est traduit par une hausse du chiffre d'affaires, qui est passé de 15 à 26 millions d'euros. Entendons-nous bien: la COVID-19 n'a rien à voir, car nous n'avons pas emballé de vaccins. Nous espérons générer 3 millions d'euros supplémentaires en 2023 avec les deux nouvelles lignes." Les processus d'emballage sont-ils entièrement automatisés? "Cela va peut-être vous étonner, mais nous faisons encore beaucoup d'emballage manuel sur notre site. La raison est simple: pour les petits lots, la préparation et la fermeture des lignes automatiques prennent autant de temps, si pas plus, que la production proprement dite. Un changement de production chez nous n'est pas comparable à ce qui se fait, disons, dans l'industrie automobile. Nous devons nettoyer, certifier, libérer les nouveaux matériaux, etc. L'industrie pharmaceutique est fortement régulée et la moindre procédure ou politique en matière de bonnes pratiques de fabrication doit être respectée. La qualité est quelque chose que Sharp prend très au sérieux. Sinon, il y a longtemps que nous aurions cessé toute activité. Pour toutes ces raisons, lancer une ligne entièrement automatique pour un lot d'un millier de produits n'aurait aucun sens. Surtout si celle-ci est capable d'en emballer une centaine par minute." L'écologie est-elle aussi un thème d'actualité dans le secteur pharmaceutique? "Le secteur pharma accuse un certain retard de ce point de vue. Mais heureusement, la réflexion durable est de plus en plus mise au premier plan. Ainsi, le plastique est au maximum évité et remplacé par du carton. Et comme nous parlons d'emballages secondaires, il peut même s'agir d'un matériau recyclé. Il en résulte que le carton 'vierge' devient aussi moins populaire. Beaucoup de nos clients nous demandent comment nous réduisons notre empreinte écologique. Nous avons de ce fait lancé récemment, avec un consultant énergétique, un vaste projet visant à cartographier tous les points améliorables. Déjà, ces dernières années, nous avons systématiquement cherché des moyens de réduire notre consommation d'énergie et d'eau. En en même temps, nous prospectons proactivement le marché à la recherche de solutions d'emballage plus durables. Ainsi avons-nous dernièrement remplacé des barquettes en plastique par des exemplaires en papier. Nous étudions aussi avec nos fournisseurs la possibilité d'utiliser des matériaux d'emballage plus légers ou plus minces." Quelles évolutions prévoyez-vous à court terme? "Sans aucun doute, une plus grande utilisation de matériaux recyclés. L'attitude par rapport à ce type de solutions commence à changer, même dans le secteur pharmaceutique. Je m'attends aussi à voir disparaître la notice en papier. J'entends aussi dire que des possibilités circulaires sont à l'étude concernant les auto-injecteurs. Nous planchons nous-mêmes sur de nombreuses possibilités, allant de l'alimentation de l'usine par les énergies renouvelables à de petits changements dans le processus et composants d'emballage, qui auront un plus fort impact sur les grosses productions. Une diminution, même minime, de l'épaisseur de carton ondulé de nos emballages secondaires, par exemple, nous permet de réduire l'espace de stockage nécessaire et aussi d'alléger le produit pour tous les maillons de la chaîne logistique." Quels sont les projets d'avenir de Sharp? "Le rachat par le fonds d'investissement américain CD&R va sans nul doute ouvrir de nouvelles portes auprès de très nombreuses entreprises du secteur pharmaceutique mondial. CD&R a offert à Sharp une plate-forme financière très stable sur laquelle appuyer sa croissance et son expansion. Nous n'entendons toutefois pas cibler exclusivement les grosses sociétés pharmaceutiques. Notre intention est, au contraire, de miser sur le segment intermédiaire et de diversifier notre clientèle. Toujours toutefois dans l'optique que nous continuons de nous spécialiser dans le conditionnement à façon des 'injectables'. Notre ambition est claire: devenir le plus grand, le meilleur et le plus flexible dans ce créneau mondial."