Chez Graphius à Gand, les presses tournent à plein régime. " Tout le monde est sur le pont en cette période de l'année ", confirme Denis Geers, numéro un du groupe d'imprimerie familial et président de la fédération professionnelle de l'industrie graphique Febelgra. " De la mi-août jusqu'à la Noël, nous sommes noyés sous les commandes. De quoi compenser les deux premiers trimestres, qui sont moins bons. " L'entreprise gantoise imprime notamment des livres en vue de la Frankfurter Buchmesse de mi-octobre, de la Boekenbeurs d'Anvers, en novembre, et des fêtes de fin d'année. Graphius ne s'attend pas à une nouvelle récession. " Quand une récession menace, nous le sentons tout de suite au resserrement des budgets marketing. Ce qui n'est pas le cas pour l'instant ", observe Geers.
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Chez Graphius à Gand, les presses tournent à plein régime. " Tout le monde est sur le pont en cette période de l'année ", confirme Denis Geers, numéro un du groupe d'imprimerie familial et président de la fédération professionnelle de l'industrie graphique Febelgra. " De la mi-août jusqu'à la Noël, nous sommes noyés sous les commandes. De quoi compenser les deux premiers trimestres, qui sont moins bons. " L'entreprise gantoise imprime notamment des livres en vue de la Frankfurter Buchmesse de mi-octobre, de la Boekenbeurs d'Anvers, en novembre, et des fêtes de fin d'année. Graphius ne s'attend pas à une nouvelle récession. " Quand une récession menace, nous le sentons tout de suite au resserrement des budgets marketing. Ce qui n'est pas le cas pour l'instant ", observe Geers.L'industrie graphique semble retrouver son souffle, ce qui n'empêche pas les mauvaises nouvelles. La faillite de Corelio Printing et l'échec de la reprise par la famille Bongaerts, propriétaire de l'imprimerie Moderna à Paal-Beringen, dans le Limbourg, ont déclenché une onde de choc dans la branche. 168 personnes ont perdu leur emploi.L'imprimerie rotative était depuis avril 2018 aux mains de Circle Media Group (CMG, ex-Circle Printers). Cette multinationale nébuleuse, qui a son siège à Amsterdam, est à la peine depuis un petit temps, alternant fusions et reprises mégalomaniaques avec dépôts de bilan et douloureuses fermetures d'entreprises. Le groupe générait encore 550 millions d'euros de chiffre d'affaires avec 2 700 salariés dans sept pays européens voici un an et demi. Aujourd'hui, il est en plein démantèlement.Corelio Printing n'est d'ailleurs pas la seule victime belge de la débâcle de CMG. L'imprimerie Hélio-Charleroi, autre filiale du groupe vacillant, a fait faillite en début d'année. Résultat : 180 travailleurs sur le carreau.Denis Geers n'apprécie pas trop tous ces remous autour de Circle Media Group, mais il préfère s'abstenir de tout commentaire. Des procédures judiciaires sont en cours. " J'ai foi en la consolidation. Voyez notre parcours. La première chose à faire quand on rachète une entreprise, c'est chercher les synergies. Des quick-wins et des choses que l'on peut développer à moyen et long terme. Sinon, cela ne fonctionne plus ", dit Geers.Sur les dix dernières années, l'homme a multiplié les acquisitions au pays et à l'étranger. Il a ainsi fait de Graphius un groupe d'imprimerie fort de cinq sites de production en Belgique et en France, et générant un chiffre d'affaires consolidé de 98 millions d'euros avec 450 salariés. La fermeture de Corelio n'est pas représentative, selon lui, des tendances à l'oeuvre dans le secteur. " Certains acteurs du marché de l'impression rotative se portent très bien. On y investit de nouveau, parce que la capacité est insuffisante. De quoi ouvrir des perspectives. "L'imprimerie Moderna, par exemple, bouclera un investissement de 18 millions d'euros à Paal-Beringen vers la fin de l'an prochain. Ses voisins de Coldset Printing Partners, l'imprimerie de Mediahuis, ont eux aussi délié les cordons de la bourse ces deux dernières années : 35 millions d'euros, consacrés notamment à de nouvelles presses. Quant à Roularta, société cotée éditrice notamment de Trends, elle a annoncé cet été un investissement de plusieurs millions dans l'imprimerie de Roulers. La nouvelle rotative doit être opérationnelle d'ici fin 2020. Selon le CEO Xavier Bouckaert, la succession des faillites et fermetures a résulté en une sous-capacité de production de magazines, dépliants et catalogues au Benelux.De quoi briser la spirale négative dans laquelle l'industrie graphique européenne se débat depuis déjà plus d'une décennie ? Bien malin qui peut le dire. Les entreprises graphiques ont été confrontées à une surcapacité structurelle liée à la baisse des volumes d'impression. Celle-ci a conduit à une guerre des prix et à un durcissement de la concurrence. Lesquels ont entraîné encore plus de consolidation, de réorganisations, de fermetures et de faillites. Philippe Van Ongevalle, directeur de Febelgra, voit le marché se stabiliser et les prix se normaliser. " Pas de quoi parler d'une croissance euphorique, certainement pas, mais je pense que le fond a été touché. " Les statistiques générales sur le secteur sont éloquentes. Le marché belge compte encore 580 imprimeries, contre encore 921 en 2008. Plus d'un tiers ont disparu ou été absorbées dans de plus grands groupes." Tout ne va pas aussi mal que ce que pensent les gens ", réagit Denis Geers. " Les entreprises qui s'en sortaient il y a cinq ans se portent toujours bien aujourd'hui. Les autres continuent de traîner la patte ou ne sont plus là. Beaucoup ont disparu, mais celles qui ont survécu sont plus fortes. Les entreprises graphiques dirigées par des personnes qui ont une bonne vision à moyen terme restent debout. La demande d'imprimés reste soutenue : moins pour des produits bruts, et plus pour du sur-mesure. Geers évoque l'ouvrage monumental que Graphius a produit pour le Museum of Modern Art (MoMa) de New York. " La digitalisation n'a aucune prise sur ce type d'imprimés. Ce sont des objets d'arts, intemporels. Dans cinquante ans, ils existeront toujours sur papier. "La vague de consolidation ne va pas s'arrêter, pense Denis Geers. " Des fusions et acquisitions sont toujours en cours aujourd'hui. " Il s'attend à ce qu'à terme, le marché graphique ne compte plus qu'un nombre limité d'acteurs par province. " Nous allons vers davantage de concentration dans chaque segment de l'industrie graphique. On n'imprime pas des étiquettes comme des livres. L'impression feuille est différente de l'impression rotative. Des périodiques, ce n'est pas la même chose que des journaux. Et les investissements sont considérables. "" Mais uniquement investir dans les presses ne suffit plus. Les clients attendent beaucoup plus qu'avant ", poursuit Geers. " L'informatique, l'automatisation et les systèmes robotisés jouent un grand rôle. Les imprimeries doivent aussi investir davantage dans les machines de finition, parce que les spécialistes extérieurs du façonnage sont de moins en moins nombreux. Seuls les grands groupes ont les reins suffisamment solides. "Febelgra voit comme une dichotomie dans le marché : les grands groupes ne cessent de grandir tandis que les petits restent petits. " Les PME qui tournent sur une équipe de quatre ou cinq personnes, avec le patron qui met à main à la pâte à l'atelier, se portent bien elles aussi. Elles n'ont pas de frais généraux et travaillent pour un marché très local ", dit Denis Geers. La tranche intermédiaire surtout a du mal, celle des entreprises moyennes. " Elles cherchent des économies d'échelle et finiront par se fondre dans un ensemble plus vaste. Ainsi se présente l'avenir de notre secteur ", résume Geers.Le chiffre d'affaires des imprimeries en Belgique, journaux non compris, a crû l'an dernier de 1,93 %, à 2 milliards d'euros. En 2017 aussi la croissance avait été modeste, avec près de 1 %. Le chiffre d'affaires atteignait encore 2,5 milliards d'euros en 2008. Sur le secteur au sens large, c'est-à-dire en tenant compte des imprimeries de journaux, des ateliers de prépresse et des entreprises de finition, pas moins d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires est parti en fumée entre 2008 et 2018. En 2008, l'année de la crise, il représentait encore 3,5 milliards d'euros. Aujourd'hui, c'est 2,5 milliards." En 2008, le coup de massue a été double : à la crise financière est venue s'ajouter l'accélération de la digitalisation. L'effet a été dévastateur pour beaucoup d'entreprises graphiques. Aujourd'hui, l'équilibre entre la communication en ligne et l'imprimé est plus ou moins atteint ", analyse Denis Geers. Certains segments affichent même une solide croissance. Geers pense aux imprimeurs d'emballages, d'étiquettes et grand format. " Cette niche de jeunes entreprises de croissance se débrouille bien. Notre secteur est très divers. On a trop tendance à tout mettre dans le même panier ", regrette Geers.Reste que la contraction du marché, les vagues de consolidation, les fermetures, les restructurations et le progrès technologique dans le secteur graphique se paient au prix fort en termes d'emplois. Le nombre de postes a baissé l'an dernier de 3,83 %, à 7 959 travailleurs (hors imprimeries de journaux). Il s'en est évaporé 4 500 entre 2008 et 2018, soit plus d'un tiers de l'emploi du secteur. En comptant les entreprises de prépresse et de finition, on arrive à 9 730 postes en tout. " Nous avons besoin de moins de gens. Ce qui est heureux dans un sens car on n'arrive plus à pourvoir les emplois vacants ", dit Denis Geers.Avec la fermeture de Corelio, Graphius a pu engager les profils qui lui manquaient depuis déjà tout un temps. " Cette fermeture est malheureuse, mais je suis heureux d'avoir pu dénicher les bonnes personnes pour notre site gantois et notre imprimerie de Beersel. Elles ont plus de 50 ans. Mais avec leurs compétences, elles n'ont aucune peine à retrouver du travail. L'un des problèmes du secteur est qu'il n'attire plus les jeunes ", constate Geers.L'atmosphère de crise persistante ternit l'image de la profession. " Les parents disent à leurs enfants : étudie autre chose ; tu ne vas tout de même pas aller travailler dans une imprimerie. C'est dommage. Nos professionnels sont presque tous des quinquagénaires. Le secteur vieillit et c'est un problème. Je suis content d'avoir pu récupérer des gens d'expérience de chez Corelio, mais ce ne sont pas eux qui vont rajeunir notre équipe ", conclut Denis Geers.