Comment se sortir d'une mauvaise passe ? Et aussi faire en sorte de s'en trouver mieux après ? En répondant à ces questions, tant Geers que Vande Velde ont parlé d'expérience. Tout en étant en désaccord sur quelques points fondamentaux - Vande Velde suppute que nous sommes déjà en récession sans le savoir tandis que Geers pense que nous avons atteint un tournant positif pour le secteur en 2018 - leur présentation sur l'estrade de Get Smart était unanime quant aux opportunités offertes aux entrepreneurs.
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Comment se sortir d'une mauvaise passe ? Et aussi faire en sorte de s'en trouver mieux après ? En répondant à ces questions, tant Geers que Vande Velde ont parlé d'expérience. Tout en étant en désaccord sur quelques points fondamentaux - Vande Velde suppute que nous sommes déjà en récession sans le savoir tandis que Geers pense que nous avons atteint un tournant positif pour le secteur en 2018 - leur présentation sur l'estrade de Get Smart était unanime quant aux opportunités offertes aux entrepreneurs.Dans son allocution au nom de Febelgra, Denis Geers a brossé le tableau de la branche : " Notre secteur sort d'une période difficile. La digitalisation et la crise, qui ont frappé au même moment, ont laissé un champ de ruine dans notre industrie graphique. Nous avons dû nous réinventer. Il nous a fallu souvent chercher d'autres modèles économiques, restructurer nos entreprises et nous préparer à l'avenir. " Les chiffres qu'il a présentés en disent long sur l'ampleur de l'impact : le nombre d'entreprises graphiques a diminué de 40 % sur les dix dernières années. Il en reste environ 800 contre 1 300 en 2008. L'emploi a aussi fondu, chutant de 14 500 à 9 500 unités, soit une diminution de 37,5 % sur la même période. Quant au chiffre d'affaires, il a reculé de 19,7 %, de 3,16 milliards à 2,51 milliards. " Des chiffres pas particulièrement réjouissants. Mais d'un autre côté, le malaise dans notre secteur a forcé les entreprises à mieux s'organiser, si bien qu'elles ont gagné en professionnalisme et en efficacité ", a constaté Geers. " La diminution du nombre d'entreprises se poursuit inexorablement, mais avec peut-être une lueur d'espoir. En 2018, l'industrie graphique a réalisé près de 2 % de chiffre d'affaires en plus avec un petit 5 % d'entreprises en moins. "Les exportations sont primordiales pour le secteur, mais la pression de la concurrence internationale est forte, a noté Geers : " Les exportations ont concerné 34,5 % de la totalité des imprimés produits en 2018. Il faut remonter environ à l'année de crise 2008 pour des résultats encore plus médiocres. Les chiffres ne mentent pas : " Nous sommes en recul pour la dixième année d'affilée. Nous avons la France avec -5,9 %, les Pays-Bas avec -6,6 %, et l'Allemagne avec -4,1 %. Et plus étonnant et de manière quasi-inexplicable : le Royaume-Uni, avec +24,8 % ; et le Luxembourg : +12,3. " L'un dans l'autre, l'excédent commercial a baissé de 2,7 % en 2018 tandis que la valeur totale des exportations diminuait de 3,47 %. " Il est également de toute première importance que nous observions et maintenions notre compétitivité internationale. La mondialisation et la consolidation de notre secteur font que nous entrons davantage en concurrence avec des entreprises étrangères. Les grands volumes fuient vers l'Europe de l'Est et les pays limitrophes. Les grandes imprimeries en ligne étrangères viennent écumer notre marché avec des tarifs inouïs. "Geers a en outre pointé les charges salariales, qui sont en moyenne 10 % plus élevées en Belgique que dans les pays voisins - " sans même parler du différentiel par rapport à l'Europe de l'Est ". Le taxshift a quelque peu permis de redresser la barre, mais pas suffisamment pour combler le fossé, pense-t-il : " Nous avons besoin du soutien du gouvernement pour réduire notre handicap salarial et supprimer toutes ces aides qui faussent la concurrence. Il n'est pas équitable que des parties avec lesquelles nous sommes quotidiennement en concurrence reçoivent des subsides qui couvrent jusqu'à 40 % de leurs investissements. Il est absurde que nous devions payer près de 80 % de prime de travail de nuit, contre seulement 30 % dans les pays voisins. Ce genre de phénomène anormal pousse notre secteur vers sa chute. "Il n'a toutefois pas souhaité assombrir exagérément le tableau : " Ce qui est certain, c'est que nous sommes parvenus à un tournant et que nous pouvons voir positivement l'avenir. Si la valeur des exportations baisse de 3,47 % mais que les entreprises graphiques parviennent malgré tout à dégager une croissance de 2 %, on peut en conclure que la demande intérieure est forte. En outre, le chiffre d'affaires global de l'ensemble de la branche se stabilise pour la première fois depuis des années. Ce pourrait être un signe avant-coureur d'une stabilisation de notre secteur. En tout état de cause, et nonobstant de mauvais chiffres à l'exportation, nous progressons de nouveau un tout petit peu.Autre évolution encourageante, le nombre d'indépendants recommence à augmenter dans le secteur graphique belge. Sur les trois dernières années, ils sont 3,17 % de plus en activité principale et 15,19 % en activité complémentaire. "Il a également pointé quelques changements importants sur le marché : " La demande d'imprimés a baissé plus vite que la capacité de production existante. La vague de consolidation des dernières années a un peu changé les choses. Elle n'est pas encore terminée, mais a contribué à un rythme accéléré à sortir de la capacité du marché. En même temps, le gros de l'effet de la digitalisation est désormais derrière nous. Un retour vers le média imprimé s'observe même de temps à autre. La percée des e-books est stoppée ; le livre papier se porte bien. Certaines niches échappent à la vague du numérique ; les segments des étiquettes et des emballages profitent même de la croissance du commerce en ligne. Sur le plan de l'impression grand format et de l'approche personnalisée de l'imprimé, les résultats sont bons à très bons. "Les opportunités ne manquent pas, pourvu que l'on soit prêt à les saisir, pense Geers : " Le grand danger serait de s'en tenir à nos vieilles habitudes. Les entreprises graphiques qui anticipent les développements sociétaux d'aujourd'hui deviennent plus efficaces et plus fortes à long terme. La diversification et la recherche délibérée de nouveaux créneaux font invariablement partie des composantes du succès de bon nombre d'entre elles. Profitez des marchés de croissance s'ils entrent dans vos compétences. L'impression grand format est en vogue, par exemple, tout comme la PLV. L'un et l'autre offrent un énorme potentiel. Mais vous n'êtes pas obligé de tout faire vous-même. D'où l'utilité de se montrer ouvert à des collaborations. Les entreprises ne vont pas toutes miser en même temps sur toutes les techniques de production. Investissez plutôt dans de bonnes relations commerciales et/ou des partenariats solides. Le temps où les commandes rentraient toutes seules est depuis longtemps révolu. "L'industrie graphique est en transition depuis tout un temps, ce qui rend l'envie d'entreprendre plus nécessaire que jamais, pense Geers : " Chaque entreprise graphique doit se focaliser sur la capacité distinctive de sa relation au client. Les TIC et les services en ligne connexes offrent une ribambelle d'opportunités. Mais l'entreprise graphique doit déterminer pour elle-même quelle direction prendre. Certaines s'attèlent à développer une stratégie médias complète, afin de tirer parti de l'intérêt croissant pour la communication cross-médias et personnalisée. D'autres jouent la carte de la gestion des données, du web-to-print ou de l'impression à la demande. Ici aussi, des partenariats avec des sociétés informatiques ou des agences de communication peuvent avoir un effet positif. Le développement de nouveaux modèles économiques impliquant des entreprises d'autres secteurs en est un bel exemple. L'entrepreneur désireux de tirer les dividendes de ces opportunités devra faire preuve d'une grande flexibilité et d'une capacité inébranlable à penser 'hors du cadre'. Les conditions de marché peuvent être favorables ou défavorables, mais c'est lui en fin de compte qui peut faire la différence avec son esprit d'entreprise positif. "Geers conclut sa présentation par un appel. " En tout état de cause, nous devons innover pour nous distinguer des autres ", dit-il. " L'innovation est de mise dans toutes les facettes de la conduite de l'entreprise. Innovation au plan de nos structures opérationnelles ; innovation dans les techniques ; innovation au niveau des produits ; innovation sur le plan social ; innovation du point de vue des formations, et cætera et cætera. Nous avons à notre disposition toute une série d'instances comme Grafoc, le VIGC et Febelgra qui sont là pour nous y aider. L'innovation et l'amélioration permanente de nos processus sont nécessaires pour rester compétitifs et continuer à fournir une qualité supérieure. " Mais il met aussi en garde : " Innover coûte de l'argent et les marges sont sous pression depuis déjà des années, ce qui hypothèque l'avenir. Les imprimeries et les professionnels de l'impression sont aujourd'hui souvent des entreprises innovantes et de haute technologie devant consentir de lourds investissements pour se maintenir au niveau des dernières évolutions techniques. La marge bénéficiaire par rapport aux investissements est toutefois devenue trop faible comparée à d'autres secteurs. Certaines entreprises ont essayé d'obtenir des effets d'échelle en voguant avec succès sur la vague de la consolidation et en compensant un déficit de marge par des volumes supérieurs. Il reste du potentiel de ce côté, mais même cette possibilité commence tout doucement à se tarir. Nous devons surveiller nos marges et pouvoir répercuter une hausse des coûts des matières premières sur nos prix de vente. "Tout comme Geers, le serial entrepreneur Wiet Vande Velde exhorte le secteur à surtout rester en mouvement : " La fausse zone de confort 'jusqu'ici, ça va' constitue un grand danger pour les chefs d'entreprise. Par exemple, les déjà plus de dix ans de croissance économique depuis la crise de 2008 rendent Vande Velde méfiant : " Ce n'est tout de même pas réaliste. " Il soupçonne qu'une nouvelle récession est déjà en cours, mais nous ne la constaterons qu'après coup : " Il est encore temps de l'anticiper. Et même si cette récession ne vient pas, il n'est jamais mauvais d'être plus affûté. "" Stay calm and reach 1 million ", le slogan de Vande Velde est tentant. Le monde de l'entreprise, il l'a appris sur le tas : tout jeune, il a lancé une société d'installation de panneaux photovoltaïques, qui lui a fait directement gagner beaucoup d'argent. Avec ces fonds, il a racheté d'autres entreprises, notamment dans les télécoms, et il en a créé d'autres, par exemple, dans les palettes en carton : " Je pensais tout savoir. " Quelques coups durs et une dette fiscale devenue impressionnante lui ont remis les deux pieds sur terre en 2015, le forçant à tout reprendre à zéro : " Je suis à présent gérant de deux entreprises qui se portent bien. Nous sommes passés de 0 à 4 millions d'euros. J'ai de nouveau la tête hors de l'eau. " Vande Velde a tiré les leçons de son expérience, qu'il a bien voulu partager avec la salle à Get Smart.Avant tout, il convient de garder en permanence un oeil sur " l'entonnoir de vente ", pose Vande Velde. Cette image très usitée dans le domaine du marketing symbolise les six phases successives du processus de vente, qui transforme un client potentiel (" suspect ") en un prospect, puis au bout du compte en un client (récurrent). " Il faut sans cesse se demander : où est ma place dans cet entonnoir ? Où suis-je nécessaire ? Lui-même opte volontiers pour la phase précoce du processus : " Le secret d'une entreprise prospère repose sur de bonnes ventes. Qui a le client détient le pouvoir. Les hamburgers de McDonald's ne sont pas particulièrement les meilleurs, mais la chaîne est celle qui s'y entend mieux à les vendre. " Il en remet une couche : " Je préfère les clients aux machines. Regardez Amazon, Booking ou Airbnb : ces sociétés détiennent le marché, pas les produits ou les hôtels " - puis il se rend compte à quel public il s'adresse : " Ce qui ne veut pas dire qu'il faille se débarrasser de ses presses. Mais vous savez, le plus important ce sont les clients, le marketing et la vente. "Tout comme Denis Geers, Wiet Vande Velde insiste sur l'importance des collaborations : " Tout seul, on ne fait pas grand-chose, et on ne peut pas créer la différence. " Une autre condition nécessaire est le " focus ", ce qu'il traduit par : " follow one course until successful ". " Essayez d'affecter des tâches claires et ciblées. Faites peu, mais faites-le bien. " Enfin, il est convaincu que les entrepreneurs doivent se laisser le temps de grandir : " Il y aura toujours quelqu'un de meilleur que vous - restez calme et profitez de l'instant présent. Ne vous focalisez pas sur cet autre, mais améliorez-vous chaque jour un petit peu. Les entrepreneurs surestiment ce qu'ils peuvent faire sur une année, mais ils sous-estiment ce à quoi ils peuvent arriver en trois ans. Ménagez-vous un horizon un peu plus large et soyez fier de ce que vous avez déjà atteint. " Geers n'avait pas dit autre chose dans sa présentation : " Nous travaillons tous dans un très beau secteur où nous fabriquons une foule de très beaux produits. J'espère de tout coeur que tout qui est aujourd'hui actif dans nos métiers le restera jusqu'à l'âge de la retraite et que nous pourrons tous ensemble élever ce marché au niveau supérieur. "