Les signes avant-coureurs n'avaient bien sûr pas échappé aux participants à Het Congres, mais les chiffres de Peter Vanden Houte, Chief Economist d'ING Belgium, ont encore accentué le caractère d'urgence. La couleur de sa chemise ("Je peux ainsi au moins afficher une touche de rose") ne suffisait pas à atténuer la gravité de la situation.
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Les signes avant-coureurs n'avaient bien sûr pas échappé aux participants à Het Congres, mais les chiffres de Peter Vanden Houte, Chief Economist d'ING Belgium, ont encore accentué le caractère d'urgence. La couleur de sa chemise ("Je peux ainsi au moins afficher une touche de rose") ne suffisait pas à atténuer la gravité de la situation. Le secteur graphique subit de plein fouet les effets d'une crise énergétique sans précédent, avec des prix affolants, du gaz, de l'électricité et aussi du gasoil, et la confiance du consommateur est au plus bas depuis quarante ans. Vanden Houte a néanmoins laissé briller quelques lueurs d'espoir. Les prix du papier et des matières premières, dont l'aluminium, semblent avoir passé leur pic. Et l'inflation rebaissera après 2023. Idem pour le prix du gaz. Dans la table ronde qui a suivi la présentation de Vanden Houte, Bart Reynders (Reynders Etiketten) a qualifié la période écoulée "d'incroyables montagnes russes". Alors que la demande d'étiquettes explosait, la pénurie de papier a entraîné une augmentation des délais de livraison à quatre ou cinq mois: "Cela a bien sûr eu un impact." Ce qui a fait dire à Koen Braem, le CEO de l'imprimerie limbourgeoise Haletra: "Nous avons tous touché le fond. Difficile d'aller plus bas. Nous ne pouvons donc que remonter." Kurt De Cat, rédacteur en chef de Nouvelles Graphiques, a quelque peu relativisé la situation: "Tout n'est pas si sombre pour autant. L'examen des bilans annuels révèle que deux tiers des entreprises du secteur restent saines et solides." Ce que Marc Vandenbroucke (directeur de Febelgra) a confirmé: le secteur affichait encore une croissance de 6% en 2019. Si ce n'est qu'il comporte différents créneaux, comme l'offset, les étiquettes et le grand format: "Lesquels connaissent encore des rythmes de progression différents aussi en 2022." Certains segments du marché graphique, comme les étiquettes, les emballages et la signalétique, ont continué de bien se porter après 2019, a ajouté Vandenbroucke: "La grande perte concerne surtout l'imprimé de labeur, qui a fondu de 25% en deux ans. De Cat se dit persuadé que l'innovation pourra sauver le secteur. "Profitez de cette crise énergétique pour vous pencher sur la consommation de vos machines. Avez-vous déjà placé des panneaux photovoltaïques? Où en est votre entreprise dans son cheminement durable?" Bart Reynders (Reynders Etiketten) a embrayé dans ce sens: "Nos PV sont installés depuis belle lurette. Nous sommes occupés à passer tout notre éclairage au crible, par exemple. Et nous allons remplacer les lampes de séchage UV de nos presses par des LED." Koen Braem (Haletra) a, lui aussi, exhorté le secteur à se retrousser les manches: "Ne restez pas les bras ballants, mais profitez du temps que vous avez pour identifier les points susceptibles d'améliorations et investissez en ce sens." Une suggestion de De Cat: "Nous ne sommes pas obligés de laisser le marché du web-to-print aux Néerlandais. On doit tout de même être capables de faire pareil en Belgique, non?" Marc Vandenbroucke se dit, lui aussi, confiant en la créativité des entrepreneurs du secteur. Mais il attend en outre un soutien des autorités belges. Outre une limitation de la hausse des prix de l'énergie, il aimerait voir un plafonnement de l'indexation structurelle des salaires, laquelle va entraîner mécaniquement une hausse de 12% des charges salariales en 2023. "La compensation actuelle est insuffisante." Ce à quoi Koen Braem a ajouté: "Nous sommes un pays de PME. Celles-ci doivent pouvoir compter sur les pouvoirs publics. Et surtout être en mesure de continuer à exercer leur métier." Mais De Cat a mis en garde: les entreprises ne doivent pas trop espérer des autorités: "Les moyens ne sont pas extensibles à l'infini. Et la Belgique ne sera quand même jamais vraiment un pays à bas salaires." Cet alourdissement des charges salariales n'est d'ailleurs pas le principal problème auquel les entreprises graphiques vont être confrontées à un horizon pas si lointain: encore faut-il déjà trouver du personnel qualifié. Ce qui ne va pas aller de soi, ainsi qu'il est ressorti de l'exposé d'Heleen Ernst pendant Het Congres. Cette spécialiste des générations chez U'r Skills a évoqué le fossé entre, d'une part, la "génération X" (personnes nées entre 1956 et 1970), qui reste dominante dans la branche, et d'autre part, les "milléniaux" (1986-2000) et la jeune relève de la "génération Z" (2001-2015). Elle a fait un résumé éloquent de la différence de mentalité: "Avant, on disait: 'Je ne peux pas sortir ; j'ai du boulot.' Aujourd'hui, c'est plutôt: 'Je ne peux pas le faire ; j'ai une soirée prévue'." Les employeurs devront pourtant s'en accommoder: "On dit souvent que la génération Z est difficile à gérer. La faute à qui, en fait?" Spécialiste du marché du travail, Fons Leroy a répondu à la question lors de la table ronde consacrée à ce thème. La pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, pense-t-il, va forcer les employeurs à changer leur fusil d'épaule. Son conseil: "Votre point de départ ne doit pas être le poste vacant, mais le talent qui se présente à vous. Que vous allez ensuite former aux spécificités de votre entreprise. Nous devons penser davantage en termes de 'carrières' que 'd'emplois'." Daniëlle Vanwesenbeek (directrice générale chez Mastermail) est déjà plongée dans la problématique générationnelle. Pour sa PME, elle cherche surtout des touche-à-tout: "Nous aimerions volontiers rajeunir le cadre. Mais c'est compliqué. Les jeunes ne sont pas encouragés par leurs études à venir travailler dans l'industrie graphique." Kirsten Brisar (propriétaire de l'agence Qualified Creatives) s'est reconnue dans ce tableau: "Nous ne manquons pas de candidat(e)s, mais il devient toujours plus difficile de trouver un bon 'match' - c'est plutôt la guerre des 'bons' talents. Les programmes sont trop découpés en spécialisations, alors qu'il serait préférable d'élargir les formations pour que les gens soient plus polyvalents." Herman Staes (coordinateur chez GRAFOC) a réagi en disant que les profils d'apprentissage ont déjà été réécrits dans une perspective d'application plus large: "Mais transmettre toute la connaissance dans le cadre restreint des heures de classe n'est pas évident." Fons Leroy a également insisté sur l'importance de l'apprentissage dual: "Il permet de rapprocher le marché du travail des jeunes et de déclencher un intérêt positif auprès des élèves. Encore faut-il que le secteur et les instances éducatives développent une bonne collaboration en tant que partenaires." Kirsten Brisar voit aussi des opportunités pour les transfuges venus d'autres secteurs: "Nous devons être ouverts aux gens qui veulent bifurquer dans leur carrière." Les effets du fossé générationnel évoqué plus haut ne se cantonnent pas au marché du travail: sous l'influence de la jeunesse, la clientèle des entreprises graphiques change de visage, elle aussi. Tom Palmaerts, chasseur de tendances chez Trendwolves, a brossé le portrait d'une société en profonde mutation. À partir de 2025, les jeunes générations seront majoritaires, non seulement dans l'atelier, mais aussi dans la vie sociale. Elles voient autrement le fait d'avoir un emploi et habitent - souvent en tant qu'isolés - dans des villes toujours plus grandes: "Voyez la Belgique comme une seule grande métropole." Et elles vont aussi manger ("moins de viande"), boire ("vin en canette") et voyager différemment. Qu'attendent les donneurs d'ordres (dont des représentants de Bpost, Carrefour, Brasserie Huyghe et Studio 100) de leurs partenaires graphiques pour l'avenir? La réponse fut clairement le souhait d'innovation. Et de préférence sur le plan de la flexibilité, par exemple, a dit Lotte Krekels (Carrefour Belgium): "Le monde de l'emballage était encore souvent synonyme de grands volumes et de longs délais. L'industrie a heureusement su évoluer rapidement sur ce plan-là. Poursuivez dans cette direction." Inge Moerenhout (Studio 100) appelle aussi les innovations de ses voeux, notamment sur le plan de la soutenabilité. Mais à une condition: "Que cela reste abordable!" Une exigence qui coule de source au vu de la conjoncture économique, et qui perdurera aussi pour la prochaine génération de donneurs d'ordres.