L'essor de l'intelligence artificielle est devenu le sujet incontournable, tous secteurs confondus. Et l'IA ne fait pas que des heureux. Le monde des créatifs, en particulier, est mitigé face aux productions rédactionnelles de ChatGPT et Bard ou aux graphismes générés par Dall-E et Midjourney. Une opinion très partagée sur les réseaux sociaux dit en substance que: "L'IA remplacera les designers graphiques quand les clients sauront décrire précisément ce qu'ils veulent." Et d'en conclure: "Nous ne risquons rien." Une déclaration qui exprime à la fois la force et le point faible du processus créatif. Les graphistes (comme les copywriters, les programmeurs, les architectes, etc.) sont habitués à devoir se dépatouiller avec des briefings confus voire contradictoires. Un processus qui engloutit toutefois pas mal de temps.
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L'essor de l'intelligence artificielle est devenu le sujet incontournable, tous secteurs confondus. Et l'IA ne fait pas que des heureux. Le monde des créatifs, en particulier, est mitigé face aux productions rédactionnelles de ChatGPT et Bard ou aux graphismes générés par Dall-E et Midjourney. Une opinion très partagée sur les réseaux sociaux dit en substance que: "L'IA remplacera les designers graphiques quand les clients sauront décrire précisément ce qu'ils veulent." Et d'en conclure: "Nous ne risquons rien." Une déclaration qui exprime à la fois la force et le point faible du processus créatif. Les graphistes (comme les copywriters, les programmeurs, les architectes, etc.) sont habitués à devoir se dépatouiller avec des briefings confus voire contradictoires. Un processus qui engloutit toutefois pas mal de temps. Alors que le logiciel reste incapable de deviner la volonté sous-jacente du client, le designer peut l'interpréter. Quand on lui présente le fruit de cette spéculation, le client réfléchit à nouveau à ce qu'il veut et donne une description un peu plus précise de ses desiderata. Le résultat escompté au départ prend ainsi forme par un processus d'essais et erreurs souvent long et coûteux. Lors de l'évènement Get Smart in Printmedia Business de Nouvelles graphiques en 2017, le designer mondialement célèbre Rizon Parein avait suscité l'hilarité générale en présentant les dizaines de propositions - toutes refusées - qu'il avait produites pour un constructeur automobile connu. Parein avait accepté la mission, pourtant assez mal payée, car le client lui semblait intéressant. On la lui avait en outre vendue comme un travail simple (un visuel d'une voiture sur une route), qui ne lui prendrait pas trop de temps. Mais elle a dégénéré en une recherche interminable: impossible de savoir ce que le client pouvait bien vouloir. À chaque modification apportée par Parein, celui-ci revenait avec des exigences nouvelles et complémentaires. Le designer a appris la leçon et n'accepte plus jamais ce genre de commande. Si designer et donneur d'ordre ont déjà du mal à s'entendre dans le segment haut de gamme, c'est certainement le cas aussi ailleurs. L'IA peut apporter une solution en permettant au client de court-circuiter tout le processus avec le designer et d'expérimenter lui-même à l'infini avec un programme tel que Midjourney. À chaque visuel généré par le logiciel, il peut formuler ses demandes de changements et se voir proposer une nouvelle version en quelques secondes. Jusqu'à obtenir celle qu'il avait en tête. Cette évolution va indissociablement de pair avec le besoin croissant des marketers de créer eux-mêmes du contenu. Si la rémunération des photographes, illustrateurs, metteurs en page et rédacteurs a chuté au cours de la dernière décennie, il en va de même des budgets des marketers, communicants, éditeurs de magazines et développeurs de sites Web qui louent leurs services. La difficulté du processus entre donneurs d'ordres et créatifs est toutefois restée la même. Pour les projets relativement simples, le donneur d'ordre met désormais la main à la pâte. Il prend des photos sur son smartphone et utilise des logiciels gratuits ou bon marché comme Canva, pour la conception, ou Photopea, pour le traitement d'image. Avec pour résultat que les imprimeurs reçoivent de plus en plus souvent des PDF truffés de problèmes dus à un usage désordonné des espaces chromatiques, des polices et des résolutions. Avec l'essor de toutes sortes de programmes d'IA permettant de générer soi-même du contenu, cette évolution va s'accélérer à vitesse grand V. À présent que, grâce à l'IA, les marketers peuvent faire l'impasse sur le processus créatif (pour les projets simples), la trajectoire entre l'idée d'une brochure et le produit final est beaucoup plus rapide. Les marketers peuvent donc enchaîner un plus grand nombre de projets en moins de temps. Les prestataires graphiques peuvent tirer leur épingle du jeu en proposant des outils créatifs en ligne. Le marketer pourra alors doter automatiquement sa brochure de contenus sur le site Web de l'imprimeur et générer la conception. Il lui suffira ensuite de cliquer sur un bouton pour la faire imprimer. Si l'aspect technique est ainsi pris en charge par son propre site, l'imprimeur a au moins la maîtrise de la qualité du PDF généré par le logiciel. En plus de proposer un nouveau service au client, il rend son propre flux de production nettement plus prévisible. Les marketers et les communicants ne sont pas les seuls à cueillir les fruits de l'IA. Les services markcom des grandes organisations n'ont souvent pas le temps de rédiger les lettres, avis de postes vacants et annonces publicitaires pour leurs collègues. On s'y refile souvent ces communications comme une patate chaude jusqu'à ce que quelqu'un finisse par s'y coller - le plus souvent à contrecoeur, cette tâche ne faisant pas partie de ses attributions. Ce qui augmente aussi le risque d'erreurs, compte tenu de la baisse du niveau moyen de compétences en lecture et écriture. Autant dire que le collègue finalement chargé de la corvée voit d'un très bon oeil de pouvoir compter sur un agent conversationnel capable de générer rapidement et facilement des textes sans faute. Et plus besoin de payer bien cher un abonnement à une banque d'images puisqu'il suffit de décrire l'illustration souhaitée. Une infolettre pour les parents d'élèves, par exemple, se rédige en un clin d'oeil avec ChatGPT - et le directeur de l'école ou un enseignant peuvent parfaitement s'en occuper. Les communications qui auparavant restaient dans les tiroirs, voire finissaient par être annulées, ont désormais plus de chances d'aboutir. Les graphistes et les copywriters peuvent à présent s'adresser à des donneurs d'ordres qui savent ce qu'ils veulent. On aura toujours besoin de campagnes surprenantes, originales et rafraichissantes. Un "chatbot" ne peut toutefois générer davantage que ce que le donneur d'ordre lui demande expressément. L'IA autonomise ainsi tout un chacun. L'entreprise graphique peut transformer le risque en opportunité en facilitant au maximum la procédure de commande. Il est en général recommandé de basculer vers le format PDF/X-4 dans un flux de production RVB. Le marketer qui conçoit ses imprimés lui-même maîtrise beaucoup moins bien l'aspect technique que le graphiste professionnel. Et même ce dernier est moins au fait des arcanes du processus graphique qu'auparavant. Quand on l'avertit que "ce fichier contient des images RVB", il n'est souvent guère plus avancé. À l'imprimeur donc de prendre son client le plus possible par la main, et de préférence en ligne. L'idée que les marketers et les communicants puissent avoir une meilleure maîtrise du résultat final a joué dans le développement de l'Experience Cloud d'Adobe. L'intention à la base de ce logiciel de marketing était de jeter un pont vers Adobe Creative Cloud, afin que marketing et création puissent converger en un seul et même courant homogène. Il n'en est toutefois pas ressorti grand-chose et les deux plates-formes continuent d'exister indépendamment l'une de l'autre. Sans doute était-il présomptueux d'espérer intéresser le marketer du segment supérieur aux outils de l'utilisateur créatif. Photoshop, InDesign et Illustrator demandent expertise et expérience de la part de leur utilisateur. Toujours est-il que les deux plates-formes accueillent aujourd'hui l'IA à bras ouverts. Le géant du logiciel a développé une appellation collective: Adobe Sensei. On peut dès lors imaginer qu'à l'avenir, Creative Cloud génère automatiquement du contenu pour les utilisateurs d'Experience Cloud. Par exemple, la toute dernière version de Photoshop génère automatiquement des arrière-plans et des éléments d'image et complète les zones manquantes d'objets sur une photo. En un tournemain, l'utilisateur prépare toute une série de propositions à présenter au directeur de création. Le marketer sera à l'avenir de plus en plus impliqué dans ce processus d'évaluation, ce qui lui permettra d'intervenir plus en amont. Un rapprochement plus intime de la création de contenu et du marketing donne naissance à de nouvelles possibilités de communication, synonymes d'opportunités pour le secteur graphique. Qui fréquente un peu les rassemblements et congrès de marketers aura vite constaté qu'il s'en dégage trois grands thèmes: traitement des données, segmentation et personnalisation. Trois sujets précisément négligés par les entreprises graphiques au cours de la dernière décennie. Grâce à l'automatisation du marketing et de la création, couplée aux possibilités de l'IA, la branche graphique a encore le loisir de prendre le train en marche. L'entreprise qui veut rester pertinente doit rapprocher son offre de la demande du marketer. Le mouvement de retour à l'imprimé ne vient pas des agences de publicité. Les grandes agences de marketing publient régulièrement des enquêtes sur les dernières évolutions. Avec toujours le même mantra: "moins d'imprimés, plus d'Internet". Elles sont intéressées par les moyens susceptibles de servir leur stratégie en ligne. Les entreprises graphiques doivent dès lors convaincre le monde du marketing de la puissance de l'imprimé au service de celle-ci. Les récents développements constituent un coup de pouce en ce sens pour les imprimeurs. Lentement mais sûrement, le Parlement européen se préoccupe de plus en plus des droits des citoyens en matière de protection de la vie privée. Avec toute une série de nouvelles règles et législations à la clé. Selon une étude de la société américaine Hubspot, qui développe et commercialise des logiciels de marketing, 86% des marketers ont indiqué que les règles en matière de protection de la vie privée des consommateurs ont influencé leur stratégie au cours de l'année écoulée. Et l'on sait que les États-Unis sont nettement moins regardants sur le sujet que l'UE. En même temps, alimentée par le déluge de fake news, la pandémie de coronavirus, la cybercriminalité et les réseaux sociaux, la défiance envers la communication en ligne ne cesse de grandir. De quoi quelque peu redorer le blason des médias imprimés. Le consommateur en ligne doit en effet toujours garder à l'esprit que son parcours en ligne est épié et stocké quelque part. Il expose une part de sa vie privée chaque fois qu'il introduit ses coordonnées ou tape un mot de passe. Ce dont il a moins à s'inquiéter quand il reçoit un imprimé dans sa boîte aux lettres. Le gouvernement flamand envisage actuellement de restreindre la diffusion d'imprimés non adressés dans le cadre de son Plan local pour les matériaux (Lokaal Materialenplan). Bientôt peut-être, les imprimés ne pourront plus être distribués que dans les boîtes aux lettres dotées d'un autocollant "Oui à la pub". Une mauvaise nouvelle a priori pour les imprimeurs et les distributeurs de toutes-boîtes. Mais qui offre aussi de nouvelles opportunités. La probabilité qu'un dépliant promotionnel soit lu par le consommateur ayant apposé un autocollant Oui à la pub est bien plus élevée que, par le passé, dans le cas d'une boîte aux lettres "neutre". Il devient en outre plus intéressant de mettre le paquet sur les publicités adressées. La grande distribution et le commerce de détail disposent de quantités colossales de données dans leurs fichiers clients et ils sont en mesure de fournir exactement l'information pertinente pour chaque adresse. Fini de tirer au bazooka. Chaque expression imprimée est ainsi porteuse d'une énorme valeur ajoutée par rapport au dépliant publicitaire de jadis. L'imprimé peut en outre constituer une formidable passerelle vers les expressions en ligne en incorporant des codes QR ou des liens vers des sites Web. Encore faut-il bien sûr qu'il y soit expressément mentionné que la vie privée du consommateur est préservée. Une autre tendance importante est le changement des habitudes d'achat des générations plus jeunes. Le consommateur se soucie beaucoup plus qu'avant de l'origine d'un produit ou de la responsabilité sociétale du fabricant ou du fournisseur. Les donneurs d'ordres s'appliquent également à renforcer leur image de marque en montrant qu'ils assument leurs responsabilités envers les individus, la société et l'avenir de la planète. L'imprimeur (d'emballages) doit leur emboîter le pas. Peu importe qu'il y croie ou non: les autorités européennes le demandent, tout comme le donneur d'ordre et le consommateur. On aurait tendance à l'oublier, mais tout ne tourne pas autour des jeunes générations. Une tranche de plus en plus importante de la population va faire valoir ses droits à la retraite dans les années qui viennent. Le ratio des plus de 67 ans par rapport au groupe des 18-66 ans va passer de 1 à 2,6 en 2040. Les seniors constituent donc un sérieux marché (notamment pour la domotique et autres produits de soutien), qui reste largement fidèle aux médias traditionnels. Des agences de marketing et de publicité se concentrent d'ores et déjà sur ce groupe-cible. Les entreprises graphiques peuvent leur proposer des modes de communication intéressants. Tout bien considéré, le défi majeur pour le secteur graphique va être de (re)conquérir la confiance du marketer. Commander des produits graphiques doit devenir un jeu d'enfant, sans discussion possible sur le résultat final. Le produit graphique doit en outre ajouter quelque chose à la stratégie en ligne, être fiable dans le traitement qu'il fait de la vie privée du consommateur et aussi être produit et pouvoir être éliminé de manière responsable. Et il doit en outre ne laisser aucun doute sur le fait que toutes ces conditions sont respectées. Ce qui demande des efforts, des investissements et une stratégie à long terme. Ce ne sera pas simple, mais la technologie, les données et l'expertise sont là.