Fin février, soit encore plusieurs semaines avant la grande conférence pré-drupa prévue pour la presse professionnelle conviée à la maison mère de Wiesloch, Heidelberg doit annoncer le départ de l'un de ses directeurs : Ulrich Hermann. L'homme a été la cheville ouvrière notamment du modèle d'abonnement du constructeur allemand, qui donne soudainement l'impression de se livrer à une réorganisation au sommet. Le quotidien économique Handelsblatt estime la situation suffisamment préoccupante pour publier une analyse de l'entreprise. Et celle-ci est dévastatrice : le journal dit assister " à l'autodestruction d'un leader mondial du marché ".
...

Fin février, soit encore plusieurs semaines avant la grande conférence pré-drupa prévue pour la presse professionnelle conviée à la maison mère de Wiesloch, Heidelberg doit annoncer le départ de l'un de ses directeurs : Ulrich Hermann. L'homme a été la cheville ouvrière notamment du modèle d'abonnement du constructeur allemand, qui donne soudainement l'impression de se livrer à une réorganisation au sommet. Le quotidien économique Handelsblatt estime la situation suffisamment préoccupante pour publier une analyse de l'entreprise. Et celle-ci est dévastatrice : le journal dit assister " à l'autodestruction d'un leader mondial du marché ". Le départ d'Hermann, engagé en 2016 pour donner forme à l'avenir numérique de l'entreprise, n'est pas le premier. Avant lui, le directeur financier Dirk Kaliebe était parti en septembre, après une carrière de plus de 20 ans chez Heidelberg. Et peu après, on avait appris que le contrat du Chief Technology Officer Stephan Plenz (30 ans de maison), ne serait pas prolongé - exit en décembre. L'entreprise possède à présent une direction bicéphale : le CEO Rainer Hundsdörfer, recruté en 2016, et le CFO Marcus Wassenberg, qui a succédé à Kaliebe. Ils seront épaulés par un comité de direction encore à désigner. Le Handelsblatt voit dans le départ d'Hermann un dégât collatéral d'une lutte pour le pouvoir au sommet, alimentée par une absence de vision et de stratégie et encore exacerbée par des résultats financiers médiocres. L'article fait par ailleurs remarquer que le modèle d'abonnement concocté par Hermann - plutôt que d'acheter la presse Heidelberg, les imprimeries paient une mensualité calculée sur la productivité - a actuellement le vent en poupe. Toujours selon le journal, l'entreprise serait activement à la recherche de financements auprès des banques, mais il se pourrait aussi que le partenaire chinois Masterwork soit intéressé à augmenter sa participation (8,5 % actuellement). Un porte-parole d'Heidelberg a toutefois déclaré dans une réaction au magazine professionnel Printweek que l'article du journal était truffé d'inexactitude et de contre-vérités. " Nous avons un plan clair pour piloter Heidelberg dans cette phase difficile d'incertitude économique. " Le modèle d'abonnement sera également maintenu. Le rassemblement pré-Drupa à Wiesloch semble donc venir à point pour redorer quelque peu le blason d'Heidelberg, avec des démonstrations et des présentations dans le showroom impressionnant du " Print Media Center ". Et après cela, une visite d'une imprimerie faisant office de site pilote pour les dernières innovations du constructeur. Si ce n'est qu'il devient évident début mars que le coronavirus va continuer à jouer les trouble-fêtes. Tous les plans tombent à l'eau et l'événement doit se limiter à une conférence téléphonique. Pendant ce conference call, le CEO Rainer Hundsdörfer met l'accent sur la nature profondément innovante d'Heidelberg et explique en quoi l'entreprise est à la pointe de la transformation numérique de l'industrie. Un monde dans lequel les presses automatisées fonctionnent en quasi-autonomie, où le " big data " aide les entreprises à être plus compétitives et où les plates-formes ouvertes assurent les connexions entre l'ensemble des acteurs de la chaîne, Heidelberg compris. " Heidelberg travaille actuellement d'arrache-pied à ce nouveau standard ", dit Hundsdörfer. Quand on lui demande si le JDF en fera partie, sa réponse fuse : " Le JDF n'a jamais vraiment fonctionné. " Heidelberg promettait une Drupa grandiose, avec une quarantaine de machines déployées sur son stand dans la nouvelle Salle 1. Plus la porte ouverte à Wiesloch avec des démonstrations continues de l'ensemble de la gamme. Les (nouveaux) équipements de façonnage des partenaires Masterwork et Polar devaient également être exposés à Düsseldorf pour illustrer l'automatisation complète du flux de production, du prépresse jusqu'à l'imprimé fini. Déjà en janvier, Heidelberg avait annoncé sa nouvelle Speedmaster " génération 2020 " - des machines pas nécessairement plus rapides, mais surtout davantage automatisées, ce qui les rend plus productives. Ainsi cette presse peut-elle être dotée d'une nouvelle logistique des plaques, qui prend en charge l'acheminement totalement automatique vers les tours d'impression des formes imprimantes destinées au travail suivant. En combinant avec les changements de plaques déjà gérés par la presse elle-même, le cap des 20 changements de travaux par heure est à portée. Autre nouveauté notable : chaque tour d'impression est flanquée d'une " Intelliline " - une barre de LED destinée à informer directement le conducteur sur l'état de la machine : vert (" calage en cours "), bleu (" en production ") ou jaune (" intervention manuelle demandée "). Toutes les nouveautés des presses " génération 2020 " sont étudiées pour réduire au maximum cet état " jaune ", afin d'optimiser le taux de rendement global (TRG) de la machine. La nouvelle génération de la PrimeFire, la presse feuille à jet d'encre de format B1 d'Heidelberg, est, elle aussi, équipée de ces " Intelliline " ergonomiques. " Nous avons beaucoup appris en quatre ans ", dit Montserrat Peidro-Insa, responsable de la gamme des presses numériques, en se remémorant le lancement de la machine à la Drupa 2016. La PrimeFire y avait été présentée en fanfare. Gerold Linzbach, le prédécesseur d'Hundsdörfer, avait jeté les bases d'une collaboration avec Fujifilm dès 2014. Un an et demi avait alors suffi aux partenaires pour mettre au point une nouvelle machine dédiée à l'industrie de l'emballage. Linzbach en parlait à l'époque comme de " l'association du champion du monde des presses d'imprimerie et du champion du monde du jet d'encre ". Peidro-Insa qualifie aujourd'hui la PrimeFire 106 de " vaisseau amiral ", et Heidelberg de " fournisseur numéro un de presses jet d'encre B1 pour les emballages. " La grande percée continue malgré tout de se faire attendre : 10 machines ont été installées dans le monde depuis 2016 - elles devraient être 15 d'ici la fin de l'année. " Le marché de l'emballage en est encore aux balbutiements de l'impression numérique ", dit-elle. (Et effectivement, le fabricant d'emballages américain Arkay Packaging a encore fièrement twitté la même semaine avoir jeté son dévolu sur une PrimeFire 106). Et pendant ce temps, la VersaFire, le système de production à toner du partenaire Ricoh, vole de succès en succès. Plus de 2 000 exemplaires en ont déjà été installés dans 37 pays depuis 2011. Désormais équipée d'un nouveau frontal Prinect et d'un modèle de finition en ligne en option, la plate-forme VersaFire en est à sa troisième génération. La conclusion du conference call est placée sous le signe des " business models numériques évolutifs à base d'intelligence artificielle ". Heidelberg dispose ainsi de par le monde d'un parc installé de 13 000 presses dont elle surveille en permanence les prestations grâce aux données envoyés par celles-ci dans le Cloud. Une analyse intelligente de ces données permet de comparer, non seulement les machines entre elles, mais aussi des portefeuilles de commandes similaires ou certaines catégories d'imprimeries. De quoi offrir des possibilités automatiques de benchmarking ou procéder à des entretiens préventifs ciblés. Heidelberg voit également l'avenir dans la mise à disposition (payante) d'une forme automatisée de consultance, également fondée sur des années de collecte de " big data ". Toute cette connaissance consolide en outre les fondations du modèle par abonnement si cher à Heidelberg. Ce pour quoi l'entreprise propose deux modèles : le contrat " lifecycle ", pour lequel l'imprimerie paie une mensualité couvrant l'utilisation de la presse, ou la formule " subscription ", calculée en fonction des prestations fournies. Heidelberg a conclu plus de 300 contrats en dix mois - atteignant ainsi déjà son propre objectif pour la première année. Une semaine plus tard, le monde a totalement changé, et l'approche de la Drupa prend un nouveau tour. À Wiesloch, les signaux sont au " jaune " et Heidelberg annonce des mesures draconiennes dans le cadre d'un plan d'action destiné à améliorer la rentabilité de l'entreprise. Heidelberg évoque " des choix douloureux " : outre la PrimeFire, en son temps présentée comme le " vaisseau amiral " de la flotte numérique, qui passe à la trappe, l'arrêt des presses offset dans le segment " très grand format ", comme la Speedmaster XL 162, est également programmé pour fin 2020 au plus tard. Les lignes de production supprimées occasionnent en effet une perte annuelle de 50 millions d'euros pour Heidelberg, qui entend se concentrer exclusivement sur ses activités rentables. Ces plans vont coûter 2 000 emplois, mais ce sacrifice devrait améliorer sensiblement la stabilité financière de l'entreprise. " Pénible, mais nécessaire ", dit le numéro un, Rainer Hundsdörfer. " Ce marché s'est développé beaucoup plus lentement que prévu à cause d'une conjoncture industrielle défavorable et de conditions de marché difficiles ", dit-il à propos de la PrimeFire. Ses mots font écho à la décision prise par Heidelberg, déçue déjà par l'évolution du marché, de mettre fin aux activités autour de la Nexpress en 2004, soit à peine quatre ans après l'introduction de cette presse numérique à toner codéveloppée avec Kodak. Ces mesures seront sans conséquences pour la présence à la Drupa 2020, car l'on sait que le plus grand salon graphique au monde a été biffé de l'agenda depuis. Deux jours après la réunion virtuelle d'Heidelberg, l'organisation de la Messe Düsseldorf annonçait en effet reporter l'événement à avril 2021 pour cause de coronavirus. Gageons que nous en apprendrons plus à ce moment sur ce qu'Heidelberg représente encore.