À l'avant-veille de sa " Commercial Print Conference ", cinquième édition d'une série placée sous la bannière " Shaping the future of print " - Intergraf a fêté ses 90 ans. Cees Verweij, président néerlandais de la fédération faîtière de l'industrie graphique, a porté un toast à l'avenir : " Long live print ". Un voeu volontiers partagé le lendemain par Sean Smyth, analyste de marché et consultant chez Smithers, qui a toutefois mis en garde. Des changements urgents sont nécessaires : " Ne vous contentez plus de faire ce que vous avez toujours fait. "
...

À l'avant-veille de sa " Commercial Print Conference ", cinquième édition d'une série placée sous la bannière " Shaping the future of print " - Intergraf a fêté ses 90 ans. Cees Verweij, président néerlandais de la fédération faîtière de l'industrie graphique, a porté un toast à l'avenir : " Long live print ". Un voeu volontiers partagé le lendemain par Sean Smyth, analyste de marché et consultant chez Smithers, qui a toutefois mis en garde. Des changements urgents sont nécessaires : " Ne vous contentez plus de faire ce que vous avez toujours fait. "Le développement durable de l'industrie graphique fait partie de ces indispensables mutations, pense Emmanuelle Maire, qui a parlé au nom de la Commission européenne. En tant que chef de l'unité " Production, Produits et Consommation durables ", elle a insisté auprès d'Intergraf sur l'importance d'une économie circulaire. L'UE a investi plus de 10 milliards d'euros depuis 2016 dans la transition souhaitée de l'économie européenne. Des succès appréciables ont ainsi été engrangés, et la nouvelle Commission se montre au moins aussi ambitieuse avec son nouveau " Green New Deal ", le pacte vert pour l'Europe. Les produits " verts " doivent d'ici 5 ans devenir la norme et non plus l'exception. Et l'une des manières de simplifier le choix d'un produit écoresponsable est l'Écolabel européen.L'Écolabel européen existe déjà depuis 28 ans, et il a été décerné entre-temps à plus de 77 000 produits présents sur le marché dans 24 groupes de produits. Le " papier imprimé " en fait partie, mais Maire est d'avis que le nombre de produits graphiques certifiés reste en-deçà des attentes : " Ces chiffres doivent augmenter. " Les critères ont dès lors été revus, en concertation avec Intergraf. Ils recouvriront dès lors bientôt (on vote en juin, mais l'introduction est prévue pour fin 2020) une gamme élargie de produits, dont le papier d'emballage-cadeau par exemple. Les critères visent les aspects circulaires de ces produits, dont le support (toutes les qualités de papier porteuses d'un Écolabel européen), les déchets et la consommation d'énergie.Verweij, président du jour, a réagi ainsi au témoignage de Maire : " On ne compte plus les marques de certification. " Le papier est déjà à l'avant-garde en termes de recyclage, avec plus de 70 % de réutilisation, a ajouté un Verweij satisfait. Et de surenchérir : " Les arbres sont plus nombreux à la fin de l'année qu'au début. " Une attitude à laquelle Jannick Schmidt a apporté quelques bémols. L'homme a consacré sa thèse de doctorat à l'université danoise d'Aalborg à l'analyse du cycle de vie (ACV). Une ACV évalue l'impact environnemental des choix opérés tout au long de la durée de vie complète d'un produit. Schmidt était venu à Bruxelles expliquer que cette méthode débouche souvent sur des conclusions surprenantes.Le plastique apparaît ainsi parfois comme un meilleur choix que le papier. L'exploitation forestière n'est en effet pas une activité neutre en CO2, et elle a par ailleurs un impact sur l'usage initial du sol supplémentaire désormais dédié à la sylviculture. Même une gestion forestière certifiée peut être néfaste pour la biodiversité, celle-ci ne constituant pas un critère de certification. Le taux de collecte déjà élevé de vieux papiers a en outre une conséquence imprévue. Si la demande de papier recyclé augmente, sans que le pourcentage collecté ne puisse plus croître de manière significative, il en résultera une pénurie, laquelle rendra nécessaire la fabrication de papier neuf. Schmidt a exhorté l'industrie à réfléchir de manière davantage critique aux causes et aux effets, et aussi à poursuivre sur la voie de la recherche.Le développement durable a été totalement absent de la présentation de Sean Smyth, qui a évoqué les principales tendances pour le segment de marché dit de " l'imprimé commercial " - une notion très vaste, allant des catalogues aux mailings en passant par la signalétique. Pour Smyth, il est plus simple de plutôt énumérer ce qu'il ne recouvre pas : à savoir, les journaux, périodiques et livres, ainsi que les étiquettes et emballages ", avec des exceptions là aussi. Les catégories de ce segment ont toutefois un dénominateur commun : elles sont presque toutes en contraction. Les chiffres de Smithers laissent escompter une diminution du volume global de 20 % sur la période 2014-2024. La baisse de volume sur dix ans, de quelques 3,3 milliards de pages A4 (en équivalents) en 2014 à 2,4 milliards en 2024, s'accompagne aussi d'un recul en valeur (en prenant 2018 comme année de référence), de 60 milliards d'euros en 2014 à environ 48 milliards en 2024.Les grands perdants sont, par exemple, les imprimés transactionnels (-30 %), les modes d'emploi (-35 %) et le matériel d'identité graphique (-45 %). Deux catégories affichent en revanche une croissance : les coupons et tickets (+23 %) et les albums photo (+35 %). Mais avec un effet minime : les coupons et tickets ne représentent pas plus de 1,7 % du volume d'imprimé total en 2020, et les albums photo seulement 0,3 % (mais pour une valeur de marché totale en euros de 3,4 % ! ).Ces conditions de marché appellent de nouvelles réponses technologiques. L'offset reste dominant, étant parvenu à fortement augmenter sa productivité grâce à l'automatisation, à la standardisation et, par exemple, au séchage UV. Et pendant ce temps, les techniques à toner et jet d'encre ont poursuivi leur développement. Alors que leur part de marché continue progressivement d'augmenter dans le volume total jusqu'en 2024 (sans toutefois dépasser 0,5 % selon Smithers), les volumes de l'offset diminuent régulièrement. Smyth attend avec impatience les nouvelles presses et systèmes d'impression annoncés à la Drupa, tout en en relativisant l'importance : " Offset, toner, jet d'encre - autant de sujets intéressants, mais totalement dénués de pertinence par rapport à l'essentiel : le workflow ! "Smyth est convaincu que les flux de production actuels des imprimeries conventionnelles sont inadéquats pour le nouveau marché qui s'avance inéluctablement. Les Milléniaux et la Génération Z tiennent de plus en plus le haut du pavé, explique-til : " Habitués au niveau de service d'Amazon, de Netflix et de l'AppStore, ils s'attendent à en bénéficier ailleurs aussi. Et cette attente se répercute sur leurs exigences. " Ce nouveau marché change aussi le modèle économique, et Smyth parle à ce sujet " d'uberisation " : " Regardez Airbnb. Le plus grand loueur de chambres au monde ne possède pas d'hôtels. Ou Facebook : premier éditeur mondial, mais sans titres propres. Et Uber, donc : plus grande centrale de taxis, mais pas de voitures. Dans le nouveau business model, il s'agit de détenir les clients, mais pas nécessairement aussi les moyens de production. "D'où l'essor des imprimeries en ligne dans l'industrie graphique, explique Smyth. Elles parviennent à pousser étonnamment loin la simplification d'un processus de tout temps très complexe. L'ensemble du processus, de la conception à la distribution, est accessible sur demande via une app. Cette manière de remplir les presses est en train de révolutionner l'industrie graphique européenne. Il prend l'exemple de la société britannique Bluetree, devenue multimillionnaire en dix ans, et qui vient d'installer une presse Landa. Ou du Néerlandais Probo, également à la pointe, selon Smyth. Traiter plusieurs milliers de commandes par jour nécessite de réinventer le flux de production, dit Smyth, pour qui le secret de la croissance en ligne résidera dans les produits standardisés.Face à la tendance à la baisse sur le marché traditionnel, les imprimeries existantes n'ont qu'une seule issue : la diversification, également en dehors de leur segment. Par exemple : les emballages promotionnels ou les étiquettes pour les acteurs de niche. Ou le textile. Ou le papier peint. Smyth : " Ne vous contentez plus de faire ce que vous avez toujours fait. " Multicopy (NL) et Symeta ont clairement montré à Bruxelles que ce changement était aussi effectivement possible. Jo Van De Weghe (Symeta) a expliqué comment Colruyt a échangé, voici dix ans, la distribution massive de toutes-boîtes contre une personnalisation pilotée par les données. L'histoire est connue, mais les résultats sont toujours aussi impressionnants. Si les coûts par ménage d'un dépliant promotionnel sont trois fois supérieurs à ceux d'un mailing de masse anonyme, le rendement le compense largement. Les coupons sont beaucoup plus souvent employés lorsqu'ils sont ciblés, ce qui se traduit par une hausse de chiffre d'affaires de 6 % pour Colruyt.Les imprimeries Multicopy font elles aussi des choix clairs. Selon sa directrice générale, Annette Dales, cette chaîne de franchise cible intégralement le segment des PME (" Le moteur de l'économie ") avec une offre de services qui va bien au-delà du seul imprimé. Par exemple, pour un rafraîchissement complet de l'identité graphique, y compris le réaménagement du magasin. " Nous aidons nos clients à atteindre leurs objectifs de communication ", dit Dales. " Nous visons en permanence la valeur ajoutée. Nous ne sommes pas des casseurs de prix. Je pense même que parfois, nous sommes les plus chers. "La résistance au changement s'est encore clairement manifestée lors la table ronde sur le thème de la publicité toutes-boîtes. Miguel Delcour a expliqué comment la fédération professionnelle néerlandaise de l'industrie graphique KVGO combat l'introduction d'un autocollant " OUI à la pub " devant les tribunaux. Amsterdam (imitée entre-temps par un nombre croissant de grandes villes des Pays-Bas) a substitué ce système d'opt-in à l'opt-out existant (la vignette NON) dans le but de réduire les quantités de déchets. Après deux procès perdus, la KVGO a annoncé se pourvoir en cassation pour porter l'affaire au niveau européen. Delcour, directeur de la KVGO : " Nous livrons bataille pour tout le marché européen. " Delcour entend en même temps conscientiser l'opinion publique et changer sa perception de l'imprimé : " Nous devons montrer en tant qu'industrie que le papier, c'est bien. "La problématique est également présente dans d'autres pays européens, même si la pratique y est différente à chaque fois. Ainsi en Allemagne, une pétition contre la publicité toutes-boîtes pourrait bien recevoir l'oreille attentive d'une coalition gouvernementale dans laquelle les Verts seraient présents, craint le Bundesverband Deutscher Anzeigenblätter (BVDA). En France, l'UNIIC (Union Nationale des Industries de l'Impression et de la Communication) met surtout en avant l'importance économique du secteur pour étayer sa protestation contre la menace d'interdiction des folders. En Belgique, c'est la fiscalité communale qui joue les trouble-fêtes, tandis qu'en Hongrie, la taxe de 30 cents/kg pourrait passer à 1 euro/kg.Le Britannique Mark Davies, président de la European Letterbox Marketing Association (ELMA) a quelque peu détonné dans l'ensemble. Ce débat, a-til constaté, ne semble pas avoir cours au Royaume-Uni, où beaucoup moins de dépliants promotionnels sont diffusés : " Un ménage britannique reçoit en moyenne 4 folders dans sa boîte aux lettres par semaine. Contre bien 34 aux Pays-Bas. " D'où un sentiment d'irritation, qui est confirmé par les chiffres : plus le volume de folders est important, plus les gens ont tendance à apposer un autocollant " NON ", a dit Davies : " Notre industrie a toujours visé l'augmentation de volume. Il faut se demander si cette approche est encore raisonnable. "Mais des alternatives existent. Davies a parlé du Danemark, où les ménages peuvent composer en ligne la liasse de dépliants promotionnels qui leur sera adressée. " Nous devons innover, par exemple en distribuant des folders beaucoup plus ciblés. Notre business model va devoir être revu en profondeur d'une manière ou d'une autre, pour que les boîtes aux lettres ne soient plus la cible d'un 'bombardement' de la part du retail. " Pas sûr toutefois que cet appel au changement trouve un large écho. Delcour a répété, par exemple, que ce sont surtout les mentalités qui doivent évoluer, aussi bien dans le marché qu'auprès du public et des autorités.Jo Van De Weghe (Symeta) a ainsi résumé la table ronde de Bruxelles : " Pour moi, l'industrie s'oppose à la disruption - alors qu'elle devrait l'accueillir avec enthousiasme. " Le slogan de la Drupa à Düsseldorf ne dit rien d'autre : " Embrace the future".