En ce début d'année 2022, la filière graphique navigue entre l'espoir d'une reprise durable de la publicité et le spectre d'une situation sanitaire fragile et d'une crise des matières premières plus importante que prévu. À la tête de la première organisation syndicale de l'imprimerie, depuis plus de vingt ans, Pascal Bovéro, délégué général de l'Uniic, nous a livré, début janvier, son analyse sur les problématiques auxquelles doit faire face la filière ainsi que les actions qu'il conduit avec Benoît Duquesne, président depuis 2018.
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En ce début d'année 2022, la filière graphique navigue entre l'espoir d'une reprise durable de la publicité et le spectre d'une situation sanitaire fragile et d'une crise des matières premières plus importante que prévu. À la tête de la première organisation syndicale de l'imprimerie, depuis plus de vingt ans, Pascal Bovéro, délégué général de l'Uniic, nous a livré, début janvier, son analyse sur les problématiques auxquelles doit faire face la filière ainsi que les actions qu'il conduit avec Benoît Duquesne, président depuis 2018. 2021 est désormais terminée. Comment analysez-vous l'année écoulée? PASCAL BOVERO: "2021 a été une année de transition qui a connu deux principales séquences. La première relevait d'une sortie de crise assez lente, après une paralysie d'une partie de la communication, notamment publicitaire et événementielle. La seconde s'est traduite par une brusque reprise technique où les budgets des annonceurs ont été à nouveau débloqués et réaffectés avec une hybridité print-digital. L'imprimé a alors marqué des points en tant que vecteur de proximité pour accompagner à nouveau le parcours d'achat non virtuel des consommateurs qui étaient saturés d'une digitalisation qui a structuré une grande partie des relations pendant la crise. Cette reprise a également concerné la filière livre dont le modèle est différent - moins éphémère - mais qui a enregistré des croissances inédites portées par un retour vers le désir de matérialité." Comment expliquez-vous la croissance du marché de la publicité au second semestre 2021? BOVERO: Il faut souligner que les marques ont souhaité se distinguer par une volonté d'inscrire leurs discours dans la proximité et l'approche responsable. Proximité en termes de prise en compte des besoins implicites du consommateur et proximité territoriale en inscrivant les messages dans un contexte plus "affinitaire". Le digital, qui porte une partie de la croissance du marché publicitaire, ne répond pas à l'entièreté des usages, d'où la force nouvelle des médias physiques. Elle s'illustre tant pour la presse locale où la publicité a enregistré de forts taux de croissance qu'à travers une relance publicitaire affectée aux nouveaux périodiques lancés en sortie de crise, périodiques dont on ne connaît toutefois pas la durabilité. Quels sont les retours de vos adhérents? L'imprimerie a-t-elle capté sa part de croissance? BOVERO: La réponse est affirmative et le taux d'occupation de l'outil industriel au dernier trimestre s'établit chez les grands opérateurs, rotativistes notamment, à un niveau proche de l'exercice 2019. Soulignons, toutefois, que la crise a désorganisé la production. Outre les périodiques, la relance du marché publicitaire print s'est faite sans planification de la part des donneurs d'ordre désireux de parier sur le juste-à-temps, ce qui s'est répercuté sur le planning des imprimeurs. Au-delà de la situation sanitaire, quels sont les freins à la reprise? BOVERO: Je dirais d'abord que la situation papetière, énergétique et les surcoûts liés aux consommables et aux emballages placent les imprimeurs dans une situation contrainte sans prévisibilité possible. Vient ensuite le marché de l'emploi avec une difficulté à recruter qui se renforce. J'ajouterai, enfin, les conditions économiques dans lesquelles les imprimeurs exercent leur activité, conditions qui désorganisent le marché en privilégiant l'option moins-disante qui se traduit dans les états financiers des entreprises. L'embellie risque-t-elle d'être impactée par les mesures prises contre la cinquième vague? BOVERO: Une économie "volatile" comme la nôtre, qui ne fabrique pas, à de rares exceptions près, de biens essentiels, peut être impactée par toute mesure restreignant la circulation des messages et l'organisation d'événements notamment. Force est de constater que la reprise est handicapée par cette menace et que les solutions alternatives essentiellement digitales peuvent, en cas de restrictions nouvelles, toucher le secteur graphique. Quel regard portez-vous sur les opérations de croissance externe qui rythment la vie de la filière? Sont-elles bénéfiques pour notre industrie? BOVERO: Le paysage graphique est trop atomisé et si l'on veut restaurer une partie des équilibres contractuels entre fournisseurs, imprimeurs et donneurs d'ordre, et construire des portails multi-usages, multiprocédés, multimarchés, il nous faut sortir de la verticalité. Ainsi en est-il de TPE/PME qui se consolident par adjonction de champs d'activité comme les étiquettes, le cartonnage, la data, le routage, etc. Toutefois, il est important que l'imprimeur garde son rôle d'architecte de solutions. Comme beaucoup d'autres industries, les imprimeries ont massivement recouru au PGE, recevant jusqu'à 25% de leur chiffre d'affaires en trésorerie. Alors que les remboursements vont débuter, faut-il craindre une vague de défaillances? BOVERO: Les imprimeurs ont utilisé le Plan garanti par l'État en bons gestionnaires comme épargne de précaution dans un secteur financièrement sous-capitalisé. Je ne vois pas se profiler de risque de défaillances dues à l'amortissement de ces prêts. Avec l'inflation, les salariés sont nombreux à réclamer des hausses de salaire. Où en est la politique salariale de la branche? BOVERO: C'est une question complexe, car les tensions, si elles existent, prennent leurs sources dans trois facteurs: les questions liées au recrutement par bassin, l'absence de mobilité territoriale, mais aussi une sous-attractivité du secteur, secteur qui doit encore faire des efforts pour être la vitrine de toutes les innovations qui le caractérisent. Il faut également prendre la mesure du lien mal perçu entre les salaires minimaux de branche et les salaires réels qui relèvent de la souveraineté des entreprises. Soulignons, aussi, que la question des salaires prend toujours un relief particulier en période électorale. L'Uniic a exprimé son inquiétude face à la flambée des prix des matières premières. Comment voyez-vous évoluer la situation? BOVERO: Nous conseillons nos adhérents qui sont parfois victimes de décisions unilatérales des papetiers. Les aléas qui impactent leurs engagements vis-à-vis de leurs clients les placent face à des dilemmes dont celui de prendre ou ne pas prendre la commande. Dans ce domaine, il faut distinguer les phénomènes structurels et conjoncturels. Pour le conjoncturel, tout a été dit sur le cours de la pâte. Pour le structurel, les phénomènes de sous-offres papetières sont renforcés par une forme de stratégie de désengagement du papier à usage graphique et par une concentration des producteurs, ce qui exclut les distributeurs qui en sont aussi les victimes. Je suis conscient que les adhérents de l'Uniic les plus impactés, généralement ceux qui travaillent sur des marchés "bobines" ou qui font appel à des papiers spéciaux, vivent dans l'angoisse de ne pas pouvoir gérer les aléas de prix et de disponibilité. L'une des conséquences est le surstockage de précaution qui pénalise la trésorerie des imprimeurs. Dans le cadre de ces augmentations, comment réagissez-vous face à certaines dérives du droit commercial? BOVERO: Concernant des pratiques que nous dénonçons, nous pouvons vous confirmer trois points. En premier lieu, nous sommes aux côtés de nos adhérents pour les accompagner lorsqu'ils sont confrontés à la pratique des devis ouverts, c'est-à-dire lorsque le prix est fixé à la livraison, pratique illégale qui viole la définition civile du contrat. Deuxièmement, nous diffusons les indices les plus pertinents pour que les donneurs d'ordre prennent la mesure des phénomènes à l'oeuvre. Enfin, nous agissons sur le terrain judiciaire. Quelles mesures allez-vous mener pour rendre la filière plus attrayante? BOVERO: Nous voulons renforcer notre stratégie portant sur l'émotion, la créativité et l'innovation de la filière, en étant notamment présents lors d'événements tels que le Mondial des Métiers, le salon C! Print ou les Wordskills. Il faut aussi prendre en compte les références des jeunes qui sont en quête de valeurs qui mêlent design, écoconception et sens. Ces actions seront menées de façon paritaire et avec les centres de formation de la branche. Que diriez-vous à une imprimerie hésitant à adhérer à l'Uniic? BOVERO: Quand nous disons que nous faisons le pari de la mutualisation contre la tentation du repli, cette affirmation se vérifie chaque jour. La plateforme de services de l'Uniic ne serait rien sans le réseau que nous représentons, les commissions, notre engagement au sein de l'Europe, notre expertise environnementale ou encore nos relais territoriaux. Notre taux de représentativité nous donne des droits mais implique aussi des devoirs que notre bureau exécutif et notre équipe de permanents nationaux et régionaux s'emploient à garder comme boussole.