L'industrie graphique peut s'-autocongratuler. La productivité et la qualité du travail dans le secteur ont énormément progressé sur la dernière décennie. On y produit une qualité élevée à des vitesses ahurissantes, et ce avec un résultat éminemment prévisible grâce à un degré poussé de standardisation. Les clients qui répartissent leurs commandes sur plusieurs prestataires graphiques n'ont plus en général à se soucier des écarts qualitatifs. La meilleure preuve en est le succès des imprimeries en ligne, qui distribuent la besogne sur plusieurs sous-traitants.
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L'industrie graphique peut s'-autocongratuler. La productivité et la qualité du travail dans le secteur ont énormément progressé sur la dernière décennie. On y produit une qualité élevée à des vitesses ahurissantes, et ce avec un résultat éminemment prévisible grâce à un degré poussé de standardisation. Les clients qui répartissent leurs commandes sur plusieurs prestataires graphiques n'ont plus en général à se soucier des écarts qualitatifs. La meilleure preuve en est le succès des imprimeries en ligne, qui distribuent la besogne sur plusieurs sous-traitants.Et pendant ce temps, les exigences du marché continuent de générer de nouveaux défis. La demande va dans le sens de livraisons rapides et flexibles de séries toujours plus réduites à données variables, et il continuera d'en être ainsi dans les années qui viennent. Les professionnels de l'industrie graphique sont passés maîtres dans le réglage des machines et l'exécution des travaux. Feuilles et bandes de papier sont automatiquement remplies en amalgames et le conducteur qui a encore le temps de s'ennuyer est aujourd'hui denrée rare. En entrant dans une imprimerie moderne, on se prend souvent pour le spectateur d'une démo à la Drupa, où l'opérateur réussit à sortir plusieurs commandes de sa presse en un rien de temps.Atteindre un taux d'occupation élevé est devenu un objectif majeur pour l'entreprise graphique moyenne. Ce qui suppose que le processus de production puisse se dérouler le plus souplement possible. Or le chaos opérationnel semble pour beaucoup plutôt la règle que l'exception. En cause : la demande de tirages plus courts voire de produits uniques. Le planning doit être réactualisé en permanence et les bureaux n'ont qu'une vague idée de ce qui se passe à l'atelier. Le responsable de la planification dispose de moins en moins de données historiques fiables. La faute à des commandes de plus en plus disparates.Quant au client, il est toujours plus exigeant et de moins en moins patient. Lorsqu'il demande à pouvoir encore changer quelque chose dans l'intervalle, il compte sur une réponse rapide. Si des urgences rentrent entre-temps, il faut pouvoir dire quelles autres commandes en feront les frais. Rien d'étonnant dès lors à ce que nous nous sentions parfois dépassés par la charge de travail. Redoubler d'effort est peine perdue : la concurrence trouve toujours le moyen d'être plus rapide et meilleur marché. À force, on finit ainsi par toucher la limite de ce que l'humain et la machine peuvent réaliser en termes de vitesse.Tout environnement de production a ses propres limitations. Les différents maillons de la chaîne de production graphique opèrent à des rythmes différents, ce qui rend les engorgements inévitables. Sans oublier qu'un collaborateur peut être malade, ou une machine tomber en panne. Le planning est dès lors plus une liste de voeux pieux qu'une représentation réaliste.La demande croissante de produits à l'unité et de petites séries nourrit ainsi un intérêt renouvelé pour les stratégies QRM (Quick Response Manufacturing) dans différents secteurs d'activité. Le QRM est une évolution du Lean Manufacturing, qui fait florès depuis les années nonante. Il définit une méthodologie de pilotage des processus, à l'atelier comme dans les bureaux. La théorie promet une forte réduction des délais de fabrication, couplée à une diminution des coûts et à une amélioration de la qualité. Et le plus beau peut-être : nul besoin d'investir dans des machines plus rapides ni de travailler plus dur ou plus longtemps. Le but est d'ajouter de la visibilité et de la maîtrise à la conduite de l'entreprise.Moins connu dans l'industrie graphique, le modèle de production QRM est implémenté avec succès dans d'autres secteurs de l'industrie manufacturière confrontés à des développements de marchés similaires. Pour les besoins de cet article, nous avons pris nos informations auprès de la QRM University, à Lede. Cette société mise sur pied par le développeur 3rd Wave dispense des services de consultance aux entreprises de l'industrie manufacturière désireuses de passer au Quick Response Manufacturing.Traduire les principes du QRM dans l'environnement de production graphique demande une certaine empathie, mais l'effort en vaut la peine. Voyez-y une bonne manière de réexaminer vos plans d'avenir (et investissements futurs) sous un nouvel éclairage.À propos de QRM, les initiés parlent " d'optimisation des flux ", les projecteurs étant braqués sur le produit plutôt que sur l'humain et les machines. Les entreprises planifient généralement leurs machines et leur personnel à 100 % voire plus. Cette maxi-misation de l'affectation des ressources ( resource efficiency) s'inscrit en contradiction avec le QRM. Une occupation totale de la capacité de production peut être comparée à une autoroute totalement saturée de voitures, ce qui finit inévitablement par entraîner une congestion du trafic. Si un ralentissement se forme ou un accident survient, une bande doit être dégagée pour l'ambulance ou le véhicule de police, ce qui, dans la pratique, prend énormément de temps.Il en va de même d'une production intégralement planifiée : les imprévus perturbent fortement le processus. Seule échappatoire : des heures supplémentaires - mais le moindre petit autre pépin est alors exclu. Autre inconvénient, l'occupation complète d'une machine rend tout changement transitoire difficile à opérer. Et des réglages mal effectués faute de temps ne font qu'aggraver les coûts et multiplier les rebuts.Le QRM part dès lors du principe que le planning ne peut être rempli qu'à 80 % maximum. De quoi ménager suffisamment de marge pour absorber les incidents et permettre à la production de se dérouler plus vite. Avec l'avantage ajouté que le personnel se trouve soulagé de la pression du stress, ce qui peut contribuer à diminuer l'absentéisme. Inversement, certains ne résistent pas à une charge de travail trop forte et la production s'en ressent.Les opérations effectives ne représentent que 10 % du temps d'un processus de production typique. Dans une entreprise graphique, la production s'effectue par étapes discrètes, où tous les logiciels et machines n'opèrent pas à la même vitesse. Les 90 % du temps, le produit est en attente de la phase de traitement suivante. Une machine plus rapide permet peut-être d'engranger un gain au niveau des 10 % de production réelle, mais il est minime. Il semble plus judicieux de s'intéresser aux 90 % d'attente, afin d'y réaliser des avancées susceptibles réduire les délais d'exécution.Assez paradoxalement, si l'on veut diminuer les temps d'attente dans la production - et améliorer le flux - il ne faut pas que la machine fonctionne en permanence à pleine capacité. Un concept difficile à avaler dans un environnement de production graphique. Différents constructeurs, par exemple, font la promotion d'une affectation maximale de leurs presses. Ainsi, Heidelberg a configuré ses nouvelles Speedmaster de manière à ce que leur consommation d'énergie soit la plus efficace à plein régime. Superbe prouesse technologique peut-être, mais il est peu probable que les entreprises qui optent pour le QRM y voient l'argument décisif pour investir dans une telle machine.La démarche usuelle dans plus d'une entreprise est d'accepter toute commande entrante et d'adapter le planning en fonction de ce qui vient. Et si la situation l'exige, tout le monde donne un coup de collier. On trouvera de nouveau le temps en période creuse de passer un coup de balai ou de prendre un café. En QRM, le planning est fondé sur la capacité réelle de l'entreprise et non sur une capacité virtuellement infinie. La base d'une planification réaliste se crée en élevant à un niveau supérieur la compréhension de cette " capacité ", qui est une combinaison d'heures-homme, de mètres carrés et d'heures-machine. L'entreprise s'écarte partiellement des délais de livraison standard, ce qui évite les promesses qui ne pourront pas être tenues. Renoncer aux délais standard permet ainsi de garantir les dates de livraison convenues. Et grâce au QRM, les délais s'avèrent dans la pratique plus rapides que ceux de la concurrence.L'amélioration d'un planning doit bien évidemment être suivie de son exécution. Le QRM s'appuie sur le concept POLCA ( Paired-cell Overlapping Loop of Cards with Authorization). Chaque étape de la production ne peut s'effectuer que si la capacité est disponible pour la suivante. La séquence des étapes de production s'appuie sur une combinaison d'unités de production appelées " cellules ". Cette combinaison est indiquée sur la carte POLCA. Plus simplement dit : telle feuille imprimée va directement au massicot, tandis que telle autre fait un passage intermédiaire par la plieuse. La combinaison mentionnée sur la carte POLCA est, dans le premier cas, presse/massicot et dans le second, presse/plieuse. L'étape suivante est indiquée sur une autre carte. POLCA tient compte de l'éventualité de pannes, de défaillances humaines et de défauts d'approvisionnement en matériaux. Dès que la production menace de stagner, un scénario de remplacement est prêt pour que la production puisse se poursuivre.Une autre abréviation a été inventée pour éviter la confusion avec des notions telles que " temps d'exécution " et " délai de livraison " : le MCT ( Manufacturing Critical-path Time). Cette " durée du chemin critique de fabrication " exprime, en jours calendrier, le temps compris entre la commande du client et la première livraison du produit, y compris les matériaux, les stocks intermédiaires et les temps d'attente de l'information. Le MCT rend le chemin critique visualisable au premier coup d'oeil, ce qui permet de savoir clairement où le processus peut être amélioré. Le MCT peut notamment mettre en évidence de longs temps d'attente pouvant potentiellement être raccourcis dans le processus global.Dans la pratique, personne ne raffole du changement, et certainement pas dans les PME. Quand on maîtrise son métier et qu'on l'exerce depuis un certain temps, il n'est pas évident de se laisser dire par un consultant extérieur qu'on doit changer sa manière de travailler. Tout changement entraîne une résistance et le soutien de la direction et de la hiérarchie est donc essentiel.Le basculement vers le QRM demande un premier investissement en temps dans le processus de changement. Et le second concerne le logiciel. Il est surtout important de choisir le bon système d'information de gestion (MIS). Un bon software rend le QRM incontournable et comme allant de soi. La plupart des logiciels de planification sont généralement encore axés sur l'exploitation efficace des ressources, ce qui constitue un frein au changement dans l'entreprise. La mise en place du pilotage logiciel ad hoc à l'échelle de toute l'entreprise affranchit la vitesse de production des individus. Un chef d'entreprise prend un risque énorme en faisant dépendre la production uniquement de collaborateurs laborieux qui parviennent à tirer le maximum des machines grâce à leur savoir-faire. Quid s'ils décident de changer d'employeur ?Selon les experts, il est possible de réduire sensiblement les délais de production dans l'année, une fois que l'ensemble de l'entreprise aura opéré le changement. Un pilote opérationnel peut se réaliser au bout d'un semestre à un an, avec pour résultat une diminution pour moitié des délais de production. Tout cela semble bien prometteur, mais qu'est-ce qui retient alors les entreprises d'adopter le QRM ? Le problème est que beaucoup de dirigeants voient bien le résultat que le QRM permet d'obtenir, mais ils hésitent à s'engager sur le chemin qui y mène. Et un autre élément ne leur facilite pas la tâche : les textes commis par les auteurs d'ouvrages sur le QRM - son inventeur Rajan Suri en tête - pèchent par leur côté abscons tout en étant truffés d'abréviations et de jargon. La preuve par les termes mentionnés ci-avant. D'où la nécessité pour celui qui souhaite passer de la théorie à la pratique de faire appel aux services d'une agence de consultants. On le voit, trouver les bons conseils est déjà un défi en soi.Une question à laquelle la théorie ne répond pas : comment créer une base d'acceptation pour le QRM ? Déjà, il est déterminant que la direction de l'entreprise appuie l'idée sans réserve. Or il n'est déjà pas facile en temps normal d'amener tous les collaborateurs à pousser dans le même sens. Ainsi, les exemples ne manquent d'entreprises qui ont dû se séparer de travailleurs réticents à négocier le nouveau cap. Mais licencier la direction est encore moins évident. Il en va comme pour toute forme de gestion du changement : le sommet de l'organisation doit mouiller sa chemise pour que le processus ait une chance d'aboutir.Il est plus simple d'acheter une nouvelle machine et de continuer à faire comme on a toujours fait. Ainsi raisonne-t-on dans beaucoup d'organisations. Et cette approche est d'ailleurs effectivement la bonne dans certains cas. Dans l'industrie automobile et la production en grandes séries, des machines plus rapides sont souvent intéressantes. Mais pour une configuration high-mix/low-volume (assemblage de plusieurs produits suivant des itinéraires différents dans le processus de production) mieux vaut y réfléchir à deux fois. Le raccourcissement des délais ne peut-il pas être réalisé autrement ? C'est qu'on ne peut ramer qu'avec les rames que l'on a. Les entreprises restent parfois (trop) longtemps à jouer avec l'idée du QRM, le repoussant dès lors à l'infini mais continuant entre-temps à se débattre avec de multiples défis. Celui qui se lance dans le QRM, en revanche, peut voir la sérénité s'installer dans l'entreprise au bout d'un an. De la place se libère alors pour plus de créativité et d'innovation.Cela étant dit, les principes du QRM ne sont pas gravés dans le marbre. L'exemple de RPI, à Eindhoven (lire par ailleurs dans ce même numéro de Nouvelles Graphiques), montre qu'une approche pragmatique peut faire beaucoup. Il en va du QRM comme de toutes les autres idées : elles ne peuvent rien rapporter tant que l'on n'a pas commencé. Même si vous n'avez pas l'intention de passer au QRM, approfondir la matière n'est pas inutile. Ne serait-ce que pour pouvoir poser un regard neuf sur toutes les belles applications à découvrir à Düsseldorf.