En prêtant bien l'oreille, on peut entendre rouler le tambour à Düsseldorf. Des grandes premières se présentent déjà en vue de la Drupa. Ainsi, Heidelberg a annoncé la nouvelle Speedmaster " génération drupa 2020 " fin janvier ; Ricoh promet dans une vidéo délirante de dévoiler " quelque chose de très spécial " et Xeikon fait même campagne depuis un an autour d'une nouvelle technologie à toner sec. On peut donc s'attendre à voir le coin du voile soulevé à de multiples reprises ici et là au cours des prochains mois.
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En prêtant bien l'oreille, on peut entendre rouler le tambour à Düsseldorf. Des grandes premières se présentent déjà en vue de la Drupa. Ainsi, Heidelberg a annoncé la nouvelle Speedmaster " génération drupa 2020 " fin janvier ; Ricoh promet dans une vidéo délirante de dévoiler " quelque chose de très spécial " et Xeikon fait même campagne depuis un an autour d'une nouvelle technologie à toner sec. On peut donc s'attendre à voir le coin du voile soulevé à de multiples reprises ici et là au cours des prochains mois.Tout cela fait partie du jeu auquel les fabricants se prêtent volontiers à l'approche de la Drupa afin de convaincre le plus grand nombre de pousser malgré tout la visite jusqu'à leur stand. La dernière édition du salon, en 2016, avait attiré un peu plus de 260 000 visiteurs - dont les trois-quarts avaient pouvoir de décision. Au moins 65 % déclaraient être venus à Düsseldorf avec des plans d'investissement concrets ; 34 % ont effectivement passé commande sur place et 36 % disaient avoir encore l'intention de le faire après la Drupa. Et 70 % ont trouvé un nouveau fournisseur pendant leur séjour à l'expo - qui s'étend en moyenne sur quatre jours pour les visiteurs venus d'en dehors de l'Allemagne. Bref : l'enjeu est important et grandes sont les chances de gain - mais il y a aussi des perdants." Les décisions d'achat portant sur des montants de plus d'un million d'euros exigent souvent plusieurs années. Or en esquissant des perspectives technologiques alléchantes et en faisant miroiter des produits futurs par un marketing intensif, les fournisseurs conduisent les clients potentiels à reporter leurs acquisitions. Les annonces précoces, autrement dit, ont souvent pour effet de 'geler' le marché. " Tel est le constat commun des analystes de Keypoint Intelligence et Infotrends. Les deux cabinets ont publié l'an dernier un rapport intitulé Innovation at Drupa, passant en revue les lancements de produits survenus entre les éditions 2008, 2012 et 2016 de la Drupa. (Le rapport ne le mentionne pas explicitement, mais il semble avoir été commandité par HP ; d'où l'attention spécifique portée par l'étude aux tendances d'achat ayant des conséquences pour HP Indigo, par exemple. HP en a en outre diffusé en janvier une version en allemand, par le biais d'un publireportage inséré sur le site Web de Print.de. Cette implication notoire n'en rend certainement pas les statistiques et analyses de Keypoint moins intéressantes pour autant.)Les analystes de Keypoint ont étudié au total 84 offres de produit, par 18 fournisseurs différents, étalées sur les trois dernières éditions de la Drupa. Les annonces ont été réparties dans trois catégories : démonstrations technologiques, introduction de nouveaux produits et extension d'une gamme existante. On a vérifié, pour chaque annonce de produit, dans quelle mesure la date d'introduction annoncée avait effectivement été respectée, et sinon, de combien elle avait été reportée : un an, un à trois ans, trois à cinq ans, ou plus de cinq ans.Les fabricants tiennent en général parole concernant leurs extensions de lignes de produits : 75 % des 48 annonces sont sorties en temps et heure. Dix ont toutefois accusé un retard pouvant aller jusqu'à trois ans. Et deux n'ont jamais vu le jour - du moins sous la forme annoncée : la Jet Press 720F (promise en 2012 pour 2013 par Fujifilm) a pris forme en 2016 sous l'appellation 720S, tandis que la Nex-Press S3600 (que Kodak avait prévue en 2008 pour 2009) a été remplacée par la plate-forme NexPress SE.Le fait de présenter de nouveaux produits à la Drupa tend à faire croire que ceux-ci sont prêts pour le marché. Et que donc ils devraient être disponibles à court terme. " Ce n'est toutefois pas toujours le cas ", observe Keypoint Intelligence. Sur les 13 nouveautés dévoilées au salon, 8 ont été lancées comme prévu, et 4 ont accusé un retard d'un à trois ans. Un produit est resté dans les cartons : l'imprimante eXtreme montrée en 2012 par Impika n'a pas été commercialisée après le rachat de l'entreprise par Xerox en 2013.Les démos technologiques tiennent rarement leurs promesses en revanche. Sur les 23 avant-premières étudiées, une seulement a respecté le planning : la rotative jet d'encre HP Web Press est sortie en 2009 ainsi que cela avait été dit en 2008. Pas moins de 17 des technologies présentées ont encouru un retard de plus de trois ans - beaucoup ne sont pas encore là aujourd'hui. Landa se taille la part du lion dans cette catégorie : on ignore le statut actuel de quatre des presses nanographiques montrées en 2012 pour une sortie en 2013 (les S5, S7, W5 et W50), et ce alors que les S10 et W10 n'ont été installées que beaucoup plus tard que prévu. Mais Konica Minolta n'est pas en reste, par exemple. On attend toujours sa presse jet d'encre KM-C (planifiée pour 2018 en 2016). Idem chez Riso, avec la T1, une inkjet inscrite à l'agenda pour 2017 en 2016, mais encore montrée en tant que " concept " aux Hunkeler Innovationdays début 2019.On sait entre-temps que cinq démos ne franchiront jamais la ligne d'arrivée. Parmi celles-ci : la " ConceptColor 220 " de Xerox annoncée en 2008 - un " tandem " de deux iGen3 intégrées, et la compacte bobine-feuilles " Genesis " d'Impika (encore que l'on puisse considérer que le concept a été mis sur le marché plus tard par Xerox à travers la " Rialto 900 "). Plus spectaculaire a été l'échec des projets d'Océ (à présent, Canon) et Xeikon - tous deux remontant à 2012 et basés sur l'utilisation d'une technologie d'impression alternative à base de toner liquide.À l'approche de la Drupa 2012, Océ avait annoncé l'Infinistream, rotative à jet d'encre géante destinée à l'industrie de l'emballage. Bien qu'elle ait atteint le stade de l'installation pilote en 2013 auprès de l'imprimerie allemande Joh. Leupold, Canon (propriétaire d'Océ depuis 2010) a décidé de retirer la prise en 2017 à cause de problèmes de qualité persistants - des millions passés en pertes et profits.Xeikon aussi s'est brûlé les ailes à la nouvelle technologie. En 2012, le pionnier du toner en poudre avait surpris le monde graphique avec ses plans concernant la " Quantum " (bien vite rebaptisée Trillium). Une première démo fut montrée en noir à la Drupa, suivie d'une machine polychrome, la " Trillium One ", lors de l'édition 2016. En dépit d'un premier utilisateur annoncé en 2014 (la société française TagG Informatique), le développement de la technologie a dû être arrêté en 2017 : malgré les progrès engrangés, le projet aurait coûté trop de temps et d'argent, obérant ainsi de plus en plus les chances d'un succès final. D'où la décision de Xeikon de plutôt miser sur le jet d'encre pour applications d'étiquetage spécifiques et de libérer ainsi du budget pour des efforts renouvelés visant à faire passer la technologie à toner sec au niveau supérieur." Fixer une échéance pour l'introduction d'une nouvelle technologie est déraisonnable ", concluaient les analystes de Keypoint, " car ce planning n'est que rarement respecté. Dans l'absolu, ce type de présentation technologique a surtout pour but de sonder l'intérêt des clients. Face à des réactions jugées trop tièdes, le fabricant préférera s'abstenir de lancer un produit qui risque de n'avoir que peu de succès. "Le rapport poursuit : " Selon notre expérience, le processus qui mène de la démo technologique à la presse numérique à part entière s'étend sur trois Drupa. " La technologie est présentée en démonstration aux visiteurs de la première édition. Des sites pilotes et éventuellement les premières installations sont annoncés au salon suivant, quatre ans plus tard. Le lancement effectif des machines disponibles survient à la troisième Drupa. " Autrement dit, le cycle de développement dure en moyenne huit ans. "Ce cycle a beau être censé connu, beaucoup d'entreprises fondent encore leurs décision d'achat sur la date de lancement évoquée par les constructeurs dans leurs démos technologiques, lit-on dans le rapport de Keypoint Intelligence. Ce qui peut mettre les imprimeries en difficulté. InfoTrends a élaboré une demi-douzaine de scénarios identifiant les effets potentiellement néfastes des annonces trop précoces.Imaginons une imprimerie qui anticipe un volume d'impression croissant. Le retard pris dans son projet d'installation d'une nouvelle technologie implique une mobilisation accrue des machines existantes, voire un recours à la sous-traitance - ce qui engendre à chaque fois des coûts supplémentaires. Le contrat de leasing sur l'équipement actuel peut en outre expirer alors que la nouvelle machine est toujours indisponible ; d'où des reconductions défavorables voire de nouveaux contrats payés au prix fort.Le risque existe en outre que les entreprises ne soient pas en mesure de respecter leurs promesses concernant les nouvelles possibilités (numériques), ni de tenir leurs bonnes résolutions en termes de développement durable ou d'amélioration de productivité.Le rapport se montre critique à plus d'un égard concernant la manière dont la presse professionnelle s'acquitterait de sa mission d'information : " Les communiqués parus dans la presse et les rapports d'analyse montrent peu de scepticisme sur les dates de lancement prévues : l'enthousiasme est la règle auprès des journalistes et des analystes. " Ou encore : " La presse professionnelle et les analystes ont tendance à oublier que la plupart des produits et des démos technologiques ne respectent pas la date d'introduction annoncée. Ce qui veut dire que des sources d'information importantes ne tempèrent pas les attentes des clients et ne critiquent pas les fournisseurs si leurs produits sortent trop tard sur le marché. " Et toujours dans la même veine : " Face à des décisions d'achat aussi importantes, les imprimeries ne peuvent se permettre la même naïveté que la presse professionnelle. "Entre mettre en doute des promesses chimériques et décrire leurs chances réelles de succès, la frontière n'est pas évidente à tracer. Il n'en reste pas moins qu'au-delà de l'enthousiasme soulevé par l'innovation, la nanotechnologie de Landa, l'Infinistream d'Océ et la Trillium de Xeikon, par exemple, ont certainement pu essuyer leur lot de considérations critiques. Ce reproche passe aussi sous silence le fait que les fournisseurs communiquent aussi directement avec les imprimeurs par de multiples canaux. Les clients potentiels sont aussi régulièrement impliqués dans le développement de nouveaux produits. La probabilité qu'ils soient encore surpris par une annonce inattendue à la Drupa est aujourd'hui très faible.Le rapport de Keypoint Intelligence présente HP comme l'un des acteurs les plus fiables pour ce qui est des nouvelles introduction de produits - presque toutes ses annonces sortent sur le marché conformément au planning. Or il fut un temps où, justement, ce constructeur traînait une réputation douteuse dans ce domaine. On se souvient en effet de la fameuse promesse, faite à la Drupa 2000, du prototype Indigo XB2 au format 48,5 x 69,8 cm. L'imprimeur britannique 1 st Byte, pionnier de l'impression numérique, en avait commandé deux exemplaires directement sur place. Un investissement d'une valeur de £1,6 million destiné à lui permettre de faire face à la demande accrue de format B2. Mais quand il est devenu évident, fin 2000, qu'Indigo ne pourrait pas livrer, deux Xeikon DCP 50 D furent finalement installées à la place. Lesquelles durent en outre être échangées en 2004 contre une Xeikon 5000, la presse B2 d'Indigo (qu'on avait pu admirer pendant l'Ipex de 2002) se faisant toujours attendre. Ce n'est qu'en 2012 que l'engagement pu enfin être tenu avec la HP Indigo 10000.L'histoire de l'Indigo XB2 n'est qu'un des nombreux exemples déjà décrits en 2010 par notre correspondant Jan Vroegop dans son article " Top ou flop " paru dans Nouvelles Graphiques. Il ne s'y montrait pas tendre non plus avec les " longperfectors " de KBA, Heidelberg et manroland, accusées de faire un peu vite l'impasse sur les systèmes dits à double pont d'Akiyama/Goss et de Komori, " en principe beaucoup plus efficaces ". La " DI ", ou gravure directe, de Presstek n'était guère plus qu'une application de niche, " qui ne survivait que grâce à une impitoyable guerre des brevets ". La quasi-totalité des presses DI ont d'ailleurs disparu du marché par après.Vroegop faisait bien sûr référence à la DicoWeb de manroland, lancée à la drupa 2000 qui, en dépit d'une installation notamment chez Artoos et encore d'une démo d'un prototype d'une DicoWeb à double développement à l'Ipex 2002 - a fini par être impitoyablement rattrapée par la technologie CtP. Le même article évoquait tout de même un succès : les chances de réussite de la presse à journaux sans mouillage Cortina de KBA avaient peut-être été initialement qualifiées de " douteuses ", cela n'a pas empêché Koenig & Bauer de lui trouver malgré tout un marché, qu'elle continue de développer à l'heure actuelle.Différents cas douteux (avec le recul) de premières Drupa ont ainsi été répertoriés au fil des années. En 2000, par exemple, Xerox exposait sur son stand la " PAX DI ", une presse offset à gravure directe codéveloppée avec Presstek et Adast. La même année, Elcorsy montrait son procédé d'impression numérique à encres liquides sur la rotative Elco 400, qui n'est jamais arrivée à percer nonobstant les installations expérimentales. Et au même salon, Agfa vantait son traitement Lite Speed, permettant de pulvériser une nouvelle couche photosensible sur les plaques offset. Les " polymères inversibles " censés rendre possible la réexposition d'une plaque usagée sont restés sans suite.Dans le même registre et tout aussi légendaire, le système RPS (Reusable Plate System) de Mitsubishi avait été montré à la Drupa de 2004. Le concept fut présenté sur un prototype de la rotative à format variable " MAX-V " protégée par une grande paroi en verre (portant l'avertissement " Photos interdites "). Une fois la commande imprimée, les plaques étaient dépouillée de leur image dans le système RPS et dotées d'un nouvelle couche sensible pour être à nouveau exposées. Pour les besoins de la démonstration, le processus durait un petit quart d'heure, mais il devait pouvoir s'exécuter en moins de trois minutes à l'avenir. Chaque plaque ainsi traitée devait pouvoir être réutilisée une vingtaine de fois, avec une économie considérable en consommables à la clé. Les deux concepts ont disparu sans gloire." Les annonces précoces ont souvent pour effet de geler le marché ", ce constat des analystes de Keypoint Intelligence s'entendait aussi régulièrement en 2012. Benny Landa accaparait alors l'attention du public de Düsseldorf avec la présentation de son procédé " nanography ". Et même si cette Drupa venait un an trop tôt pour sa technologie - les presses ne seraient vraiment prêtes qu'en 2013, admettait-il lui-même - cela n'a pas empêché les imprimeries de signer des centaines de " lettres d'intention ". Et même de verser un acompte, tellement elles étaient désireuses de posséder une telle presse. Pendant que le scénario esquissé par Keypoint se vérifiait, d'autres constructeurs ont dû se résoudre à voir des plans d'investissement potentiels mis au frigo. Quatre ans plus tard, Landa mettait une fois de plus les petits plats dans les grands à la Drupa avec l'annonce des premières installations et un paquet de nouveaux clients : ce qui allait d'un partenariat stratégique avec un géant graphique (Quad/Graphics) jusqu'à la prise d'une option sur pas moins de 20 presses nanographiques par Cimpress. Landa n'a d'ailleurs pas tourné autour du pot : tout cela prenait certes plus de temps que prévu, mais il disait avoir appris des erreurs commises lors du lancement d'Indigo en 1993 : " Le marché n'était pas prêt et, en fait, la machine non plus. Nous avons accusé durement le coup - et cela ne m'arrivera pas deux fois. " Tant et si bien que le compteur n'indique encore et toujours que 10 installations effectives. La Drupa 2020 sera le moment de vérité pour la nanographie de Landa.Le slogan de la Drupa est " Embrace the future " et ce n'est pas pour rien. Tout le monde aimerait pouvoir embrasser l'avenir et se mettre à l'ouvrage le plus rapidement possible. Ce qui a conduit Heidelberg, par exemple, à d'ores et déjà dévoiler sa " Speedmaster génération drupa 2020 " - une annonce à classer dans la catégorie " extensions de ligne de produits ". On retiendra surtout l'ajout d'un nouveau dispositif " Plate to Unit ", placé au-dessus des groupes d'impression pour assurer une " logistique des plaques totalement automatisée ". Comme le fait remarquer Rainer Wolf, le CEO d'Heidelberg : " Encore augmenter la vitesse de la presse n'a aucun sens. Ce serait comme être coincé dans un embouteillage et s'imaginer qu'une voiture plus rapide pourrait résoudre le problème. Il est beaucoup plus efficient d'augmenter la productivité en optimisant et coordonnant l'ensemble du processus. C'est à cela que nous nous attelons. "L'annonce par Heidelberg de la Plate to Unit nous fait irrésistiblement penser à ce que Jan Vroegop écrivait dans Nouvelles Graphiques en 2010 sous le titre " Top ou flop " :" Quand Komori a débarqué en Europe vers le milieu des années 80, les grands constructeurs allemands se sont voilé la face. Leurs départements marketing se sont acharnés à démolir le système automatique de changement de plaques Komori en brandissant toutes sortes d'arguments : trop cher, peu commode, pas plus rapide, trop sensible, plus d'accès entre les groupes, etc. Tout dans le déni. La gaffe suivante fut commise par Heidelberg, qui riposta avec une construction monstrueuse de bras robots chargés d'amener des cassettes entre les tours et de changer automatiquement les plaques. Heidelberg eut beau présenter son système comme la solution conviviale par excellence, le marché n'a pas suivi. Ce qui a forcé le constructeur à se tourner vers une option plus réaliste " à la Komori ". "Dix ans plus tard, on est curieux de voir si le concept aura une suite plus heureuse.