Dans ses interviews, conférences et lettres aux actionnaires, le fondateur d'Amazon distille volontiers ses conseils aux entrepreneurs du monde entier. Quelque 500 citations de Jeff Bezos ont été réunies dans l'ouvrage Disrupteur. Nous avons confronté des patrons belges à quelques-unes d'entre elles, ramassées en cinq volets.
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Dans ses interviews, conférences et lettres aux actionnaires, le fondateur d'Amazon distille volontiers ses conseils aux entrepreneurs du monde entier. Quelque 500 citations de Jeff Bezos ont été réunies dans l'ouvrage Disrupteur. Nous avons confronté des patrons belges à quelques-unes d'entre elles, ramassées en cinq volets." Dans le monde des affaires, on se pose souvent cette question : pourquoi ? Mais il en existe une autre, tout aussi pertinente : pourquoi pas ? "Jeff Bezos a créé une des plus belles réussites économiques de ce début de siècle. Ses conseils en matière de création doivent donc, a priori, être des plus pertinents. Celui que retiennent avant tout nos interlocuteurs est la question du " Pourquoi pas ? ", l'interrogation décisive dans l'entrepreneuriat. " C'est précisément de cette question que naît l'action, estime Michael Renous, le CEO de Tricount, une start-up fintech récompensée lors des derniers Digital Wallonia Awards. L'entrepreneur regarde alors une réalité, une tendance, un besoin et décide de l'imaginer sous un autre angle et de le façonner à sa façon. "" C'est la question essentielle dans l'innovation, renchérit Christian Homsy, CEO de Celyad, une biotech spécialisée dans la thérapie cellulaire. Nous sommes souvent cadenassés par nos apprentissages et nos idées préconçues. Or tout ce qui nous bloque est en quelque sorte artificiel. Les barrières sont faites pour être surmontées, il faut de la volonté pour y parvenir. " Comme un clin d'oeil à Jeff Bezos, il cite en exemple... Jack Ma, le fondateur d'Alibaba : " S'il y en a un qui a dû se dire 'pourquoi pas ?', c'est bien lui. Un professeur d'anglais dans un pays communiste qui a réussi à faire ce qu'il a fait, c'est presque impensable. Il n'a rien inventé, il a copié Amazon, mais regardez où il est aujourd'hui. "" On me pose très rarement cette question : qu'est-ce qui ne changera pas dans les 5 ou 10 années à venir ? C'est à partir de ces éléments stables que l'on peut réellement faire décoller des projets. Toute l'énergie que vous y consacrez aujourd'hui vous rapportera encore des dividendes dans 10 ans. "C'est fort de cette conviction que Marc Raisière, CEO de Belfius, a décidé d'asseoir le redressement de Belfius sur " les racines " de l'entreprise, à savoir le secteur public et le retail. " Nous avons financé des écoles, des hôpitaux, etc., explique-t-il. Sur cette base, nous avons pu développer progressivement le service aux entreprises. En Wallonie, Belfius représente 25% du marché des crédits aux PME. Il y a cinq ans, nous étions à 7-8 % à peine. Fabien Pinckaers, le fondateur d'Odoo, une société qui propose un logiciel de gestion et également primée aux Digital Wallonia Awards, pose ici un conseil : ne pas se disperser et concentrer ses efforts sur l'essentiel. " Les meilleurs managers ne sont pas ceux qui savent quoi faire, mais ceux qui sont capables de dire ce que l'on ne fait pas, afin de concentrer l'entreprise sur ce qui essentiel", dit-il." L'échec a rarement un coût important. Les coûts les plus importants qui affectent les entreprises sont beaucoup plus difficiles à identifier : ce sont les erreurs d'omission. "Ne pas agir coûte-t-il plus cher que se tromper ? Chantal De Vrieze, ex-CEO d'Altran et administratrice de sociétés (EVS, Axa, Colruyt, Picanol), est convaincue que les hésitations et le surplace sont néfastes pour l'entreprise. " Être manager, c'est décider, dit-elle. Mieux vaut prendre une mauvaise décision que ne rien décider du tout. Une société sans cap, c'est le pire de tout. " Tous nos interlocuteurs insistent sur l'intérêt pour la vitalité d'une entreprise de voir les collaborateurs oser prendre des initiatives. " On ne va jamais licencier quelqu'un qui fait une erreur, mais on peut licencier quelqu'un qui n'évolue pas, déclare Fabien Pinckaers. La peur de l'échec est un frein à l'évolution des gens. Lorsque les collaborateurs n'ont plus peur qu'on leur reproche un échec, tout le monde se sent libre d'essayer ou de décider. " Si elle comprend ce droit à l'échec, Fabienne Bister, CEO de la moutarderie Bister l'Impériale, tient toutefois à nuancer le propos : " Dire que l'échec a rarement un coût important, c'est quand même un fameux raccourci. J'ai vu des échecs retentissants qui ont laissé des sociétés sur la paille. J'ai une personnalité qui me pousse à oser prudemment, résume-t-elle. Je n'ai pas peur de grand-chose, sauf lors des grands investissements."" Les fondateurs sont intransigeants sur la vision. Je pense que l'intégration de managers professionnels dans l'entreprise peut parfois représenter un danger dans la mesure où, si quelque chose ne marche pas, leur premier acte consistera à changer la vision, ce qui n'est généralement pas la bonne décision à prendre. "Qu'est-ce que " la vision " d'une entreprise ? " Je n'aime pas ce mot, répond Fabienne Bister. Ce qui compte, ce sont les valeurs d'une société. Des valeurs comme le respect, la satisfaction du client, la sécurité des travailleurs, c'est non négociable. Mais la vision... Tout évolue tellement vite. Ce n'est pas la vision qui a porté le chiffre d'affaires de Bister de 750000 à 5,5 millions d'euros en 25 ans ! " Michael Renous préfère aussi insister sur les valeurs. " L'entreprise doit veiller à préserver suffisamment d'ouverture et de flexibilité pour s'autoriser à affiner sa vision face à la réalité sans pour autant transiger sur ses valeurs ", résume-t-il." Nous travaillons dans une ambiance informelle, ce qui aide les salariés à me dire non. C'est très important qu'ils puissent exprimer franchement leurs pensées à leur supérieure hiérarchique. OEuvrer dans un environnement sans contrainte est un bienfait incommensurable. "" Tous les CEO vont vous dire qu'ils veulent une ambiance informelle, assène Marc Raisière. Dans la vie réelle, c'est toujours différent. Je suis un homme ouvert et accessible, mais je sais que les collaborateurs se posent toujours la question avant de me contredire. La hiérarchie est là et je suis certain ce qu'est pareil chez Amazon. " Quant à Chantal De Vrieze, elle a fait monter un jeune diplômé dans son board, avec pour mission spécifique de la " challenger ". " Il vient avec de nouvelles idées, de nouvelles approches. C'est du gagnant-gagnant, pour l'entreprise comme pour lui. Et c'est l'un des rôles du manager : faire grandir ses équipes. " Elle insiste sur l'importance de bien composer ses équipes, avec des profils bien différents, histoire d'aborder les enjeux cruciaux avec des regards et des compétences complémentaires." J'aime bien prendre mon temps le matin, lire le journal et prendre le petit-déjeuner avec mes enfants. Je ne programme pas de réunion importante avant 10 h du matin. "" Prendre son temps le matin, c'est un peu cliché, estime Marc Raisière. Nos vies professionnelles, nous les vivons intensément dès le réveil. Il y a toujours un imprévu le matin. " Tous nos interlocuteurs retiennent cependant le propos global, à savoir la nécessité de pouvoir se déconnecter de temps à autre. L'autoriser pour les autres et se l'appliquer à soi-même. " Si on ne parvient pas à équilibrer sa vie, on finit par ne plus rien faire correctement ", dit Chantal De Vrieze. Fabienne Bister tire chaque vendredi soir " la lourde tenture du boulot pour le week-end ". " Ce n'est pas toujours possible, ce n'est jamais facile, mais il faut le faire, dit-elle. Vous n'avez qu'un certain capital d'énergie. Nous sommes des êtres humains, avec une seule santé, une seule famille, des amis, des envies de sport ou de lecture, etc. On ne tombe pas malade par hasard. Nous n'avons pas connu beaucoup d'accidents de travail chez Bister. Mais chaque accident, je peux le relier à un élément humain : une réprimande, une engueulade, une dispute le matin ou la veille. Nous ne sommes pas des machines."" Mes employés ne doivent pas redouter nos concurrents, mais nos clients. Nos clients ont fait de notre entreprise ce qu'elle est, c'est avec eux que nous entretenons des relations, c'est envers eux que nous avons une immense obligation. "Sur ce point, Jeff Bezos décroche un 10 sur 10 face aux patrons belges. " Les employés doivent redouter les clients, dit Hubert Brogniez, entrepreneur en résidence au Venture Lab de l'ULiège et fondateur de Finalyse, revendue en 2013. " Si on écoute vraiment ses clients, on va entendre et comprendre tout ce qui est améliorable pour ensuite prendre les mesures adéquates. Les employés comprendront qu'on ne transige pas avec le respect des délais, de la qualité, du prix, du service, etc. " Fabien Pinckaers concède : " J'aime bien la citation d'Henry Ford : 'Si j'avais demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils auraient dit des chevaux plus rapides'. Au lieu de cela, il a inventé la voiture pour tous. La culture chez Odoo n'est pas de satisfaire le client à court terme, mais de bien l'écouter pour comprendre ses problèmes. Et bien souvent, on finit par trouver autre chose que ce qu'ils demandaient au départ. " Fabienne Bister le dit d'une formule : " Contrairement à ce que l'on croit souvent, vendre, ce n'est pas raconter des trucs. Vendre, c'est écouter. "" Nous avons adopté depuis longtemps une tradition qui consiste à ne jamais parler des entreprises concurrentes. Si vous focalisez sur vos concurrents, nous devrez attendre que l'un d'eux lance un projet. Le fait d'être focalisé sur le client permet de jouer les pionniers. "" Je suis très heureux de lire cela, confie Marc Raisière. Nous ne nous comparons plus aux banques et aux assurances. S'il faut faire un benchmark, ce sera par rapport à des entreprises technologiques ou de communication. Si je me compare aux concurrents, quand ils sont mauvais, je le suis aussi. Se comparer aux concurrents, c'est accepter de devenir médiocre et se contenter de la moyenne. " Fabien Pinckaers est un peu plus nuancé. Il maintient qu'il y a " une grande valeur à méthodiquement analyser tous les concurrents " et que, parfois, " on trouve des idées à copier chez les autres ". Il s'agit bien de nuances car, globalement, poursuit-il, " une société innovante est plus concentrée sur ellemême que sur ses concurrents. "